Plantée au milieu de la savane, entourée d'éléphants et de rhinocéros, la bourgade somalienne d'Afmadow s'apprête à devenir la ligne de front d'une nouvelle guerre.

Près de 3000 soldats kényans, ralentis par les chemins boueux en cette saison des pluies, tentent d'atteindre la petite ville somalienne, située à 620 km au sud de Mogadiscio, afin d'y affronter les milices islamistes shebab, qui contrôlent cette région du pays déjà affligée par la famine.

La population locale, qui a connu la guerre il y a à peine deux ans, essaie de fuir pendant que les rebelles islamistes, de leur côté, tentent de fortifier le village, de creuser des tranchées et d'importer un maximum de combattants. Le combat qui s'annonce est sans précédent autant pour les shebab que pour les militaires kényans, qui n'avaient jamais auparavant lancé une opération militaire dans le pays voisin.

Une série de quatre enlèvements est à l'origine de l'opération kényane. Au cours du dernier mois, une touriste britannique, une Française résidant dans la région de Lamu et deux travailleurs humanitaires espagnols de Médecins sans frontières, travaillant auprès des réfugiés somaliens dans le camp de réfugiés de Dadaab, ont été enlevés sur le territoire kényan.

Même si les shebab n'ont revendiqué aucun de ces rapts, les autorités kényanes ont entrepris de boucler la frontière entre le Kenya et la Somalie afin de repousser le mouvement shebab le plus loin possible de leur territoire. Un officier de haut rang de l'armée a affirmé hier que l'incursion kényane en territoire somalien avait aussi pour but de renforcer le gouvernement fédéral de transition de Somalie, qui peine à imposer son autorité sur une grande partie du pays.

«Nous voulons créer un climat favorable pour le gouvernement fédéral de transition. Si ça veut dire que nous devons nous rendre à Kismayo [forteresse shebab], nous sommes prêts», a lancé hier le major kényan Emmanuel Chirchin.

Les shebab, qui contrôlent le sud du pays, n'ont pas tardé à répliquer, menaçant de s'en prendre au Kenya à moins que les troupes soient retirées immédiatement. «Le gouvernement kényan ne connaît pas la guerre. Nous savons ce que c'est. C'est la destruction, les déplacements. Et vos grands édifices seront aplatis», a dit un porte-parole des milices, Sheikh Ali Mohamud Rage.

Hier, d'ailleurs, alors que les ministres kényans de la Défense et des Affaires étrangères visitaient leurs vis-à-vis à Mogadiscio, capitale somalienne, un attentat à la voiture piégée a fait quatre morts à quelques kilomètres du lieu de la rencontre.

Directeur du programme d'études africaines à l'Université de Toronto et chercheur principal sur l'Afrique au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, Thomas Kwasi Tieku craint que le conflit se déplace rapidement jusqu'au coeur du Kenya. «Le Kenya a une grande population somalienne qui est marginalisée. L'opération militaire kényane en Somalie pourrait donner l'occasion aux shebab d'armer les jeunes réfugiés», estime l'expert.

Selon M. Tieku, en intervenant militairement, le Kenya tente de démontrer sa capacité à combattre le terrorisme dans la région et de prouver que son armée peut assurer la sécurité des étrangers qui y viennent par affaires ou pour le tourisme.

L'opération militaire kényane ne fait cependant pas l'unanimité dans la communauté internationale. Hier, Médecins sans frontières, dans un communiqué de presse, a tenu à se dissocier «clairement et fermement de toute intervention armée» qui, selon l'organisation, pourrait compromettre «la sécurité de son personnel et la résolution [de l'enlèvement]».