Bien que les restaurants chinois du monde entier servent encore immanquablement du thé au jasmin, le régime communiste en place à Pékin a contracté en 2011 une allergie à la petite fleur fragrante.

Depuis le mois de février dernier, le jasmin est à l'index. Il a été rayé des poèmes et des chants patriotiques. Des noms de festivals. Et censuré sur le web.

Pourquoi? Parce 8000 km à l'est, le 14 janvier, après un mois de manifestations, les protestataires tunisiens ont réussi à faire tomber leur dictateur, Zine el-Abidine Ben Ali. Dans les jours qui ont suivi, la révolution tunisienne a été qualifiée, à tort ou à raison, de «révolution du jasmin». La terre en a tremblé jusque dans les officines communistes chinoises.

Le scénario a été le même dans l'ensemble des régimes oppressifs du monde entier, tout aussi loin soient-ils du monde arabe.

«Le plus gros changement un an après le début du Printemps arabe est que la situation est renversée. Il y a un an, les régimes répressifs avaient l'impression d'avoir le gros bout du bâton. Ils agissaient avec condescendance envers ceux qui décriaient leurs agissements, regardaient tout le monde de haut. Cette ère là est terminée», note Arch Puddington, chercheur au Freedom House. Pour le centre de recherche américain, M. Puddington compile chaque année un rapport sur l'état des libertés dans tous les pays du monde. «Aujourd'hui, ce sont les protestataires qui ont le gros bout du bâton», conclut-il.

En rédigeant son nouveau rapport, dont les résultats seront connus la semaine prochaine, M. Puddington a vite réalisé que le nombre de régimes répressifs n'a cependant pas chuté après le Printemps arabe. En fait, il a un peu augmenté et en partie à cause des révolutions tunisienne, libyenne et égyptienne. «Quelques pays ont adopté des réformes au lendemain du monde arabe, comme le Maroc et Cuba, mais la plupart des régimes autoritaires se sont durcis. C'est difficile de prévoir ce qu'il va se passer dans la prochaine année».

Une chose est sûre, le protestataire -nommé personnalité de l'année par le magazine Time- n'a pas dit son dernier mot et aura mille occasions cette année de faire entendre sa voix.

Où la confrontation risque d'être la plus féroce? Nous avons tenté de regarder dans notre boule de cristal.

Moyen-Orient, Iran

Régime théocratique dirigé par l'ayatollah Khamenei

2011: L'Iran a tenu un double discours sur le Printemps arabe. «Il a félicité les Tunisiens et les Égyptiens de s'être inspirés de la révolution iranienne. Mais sur le cas syrien, le régime dit que c'est l'oeuvre des agents étrangers et des sionistes», remarque Houchang Hassan-Yari, professeur au Collège militaire royal du Canada. La réponse de l'Iran à l'interne a été d'accélérer la répression. À l'externe, on soupçonne l'Iran d'avoir prêté main forte au régime de Bachar al-Assad en dépêchant à Damas des Gardiens de la Révolution.

2012: des élections législatives auront lieu en mars. Elles sont pour le moment boycottées par les réformistes. En 2009, lors des dernières élections, un large mouvement de protestation, en quelque sorte une répétition générale du Printemps arabe, s'était mis en marche pour demander des réformes, mais a été durement réprimé. «La situation est très volatile en Iran», estime M. Hassan-Yari. Si le camp des ultraconservateurs prend plus de pouvoir qu'il n'en a déjà, le mouvement de protestation pourrait retrouver un nouvel élan.

Photo: Reuters

L'ayatollah Ali Khamenei.

Asie, Chine

Régime communiste chinois

2011: Toute l'année, la Chine a géré de petits mouvements de protestation dans l'ensemble de son territoire. Le plus récent est celui de la province du Guangdong. «Le gouvernement a développé une stratégie pour garder les manifestations localisées et pour prendre le côté des manifestants contre les dirigeants locaux», note Arch Puddington. Le régime communiste n'a pas eu cette patience cependant dès qu'il a été question d'un mouvement national, né sur Facebook en février. Tout l'appareil étatique chinois de répression et de censure s'est alors déchaîné.

2012: Selon Arch Puddington, du Freedom House, la Chine continuera sa gestion au cas par cas des rébellions locales.

Photo: AP

Le président de la Chine, Hu Jintao.

Europe/Ex-URSS, Russie

Régime autoritaire dirigé par Vladimir Poutine

2011: la nature autoritaire du régime russe ne fait plus de doute depuis l'an dernier. Durant toute l'année 2011, des manifestants, dénonçant la corruption du clan Poutine-Medvedev, ont été arrêtés lors de manifestations. Mais c'est à la suite des élections législatives de décembre que la répression a été la plus flagrante. Au moins 1000 protestataires ont été arrêtés. À la suite de ces rafles, le régime a permis la tenue de plusieurs manifestations au centre de Moscou, mais a fait emprisonner plusieurs leaders de l'opposition.

2012: une élection présidentielle doit avoir lieu en mars et Vladimir Poutine tentera de reprendre la présidence. Ce dernier a déjà annoncé qu'il contrôlera davantage l'accès au web, encore très libre en Russie, et utilisé par les protestataires pour organiser des rassemblements. Il a aussi promis de mieux protéger la société civile contre l'appareil étatique.

Photo AP

Vladimir Poutine

Afrique, Angola

Régime dirigé par le président José Eduardo Santos, depuis 30 ans

2011: à peine une semaine après la chute de Ben Ali, l'Angola a modifié la constitution pour octroyer davantage de pouvoirs au président Santos, pourtant déjà tout-puissant. À l'automne, un petit mouvement de contestation inspiré du Printemps arabe a tenu plusieurs manifestations dans la capitale. Ils dénoncent notamment l'enrichissement du président et de ses proches au détriment de la population, dans un des pays les plus riches en pétrole de l'Afrique.

2012: après avoir été reportées pendant trois ans, des élections parlementaires doivent avoir lieu en Angola en septembre 2012. L'opposition pourrait saisir l'occasion pour contester la légitimité du régime.

Photo: archives Reuters

José Eduardo Santos

Amériques, Cuba



Régime castriste, dirigé par Raul Castro depuis le 19 avril dernier

2011 et 2012: le Printemps arabe ne semble pas avoir grandement atteint le régime castriste. Cependant, les réformes économiques, prévues avant la révolution tunisienne, ont progressé au cours de l'année et devraient se poursuivre en 2012.

Photo AFP

Raul Castro

***

OÙ SONT-ILS MAINTENANT?



Zine el-Abidine Ben Ali > Il a quitté ses fonctions le 14 janvier 2011. Il est en exil en Arabie saoudite avec sa femme, Leila Trabelsi. Ensemble, ils ont été condamnés par contumace à plus de 35 ans de prison pour consommation de drogue et à 15 ans pour détournements de fonds. Ben Ali a lui-même été condamné à 5 ans de prison pour la torture d'officiers. Un autre procès est toujours en cours.

Hosni Moubarak > Il a quitté ses fonctions le 11 février après près de 30 ans au pouvoir. Depuis, il est hospitalisé. La semaine dernière, son procès a repris en Égypte. L'ex-président et plusieurs de ses proches collaborateurs sont accusés d'avoir ordonné l'utilisation de la force contre les manifestants.

Ali AbdAllah Saleh > Après 10 mois de manifestation, le président yéménite, au pouvoir depuis 33 ans, a signé une entente qui prévoit son départ en février. Une nouvelle loi, adoptée le 8 janvier, pourrait lui permettre de se prévaloir de l'immunité, mais des milliers de manifestants s'y opposent.

Mouammar Kadhafi > Il a été tué le 20 octobre 2011 à Syrte après 42 ans au pouvoir. Les circonstances troubles de sa mort ont poussé les leaders du Conseil national de transition à ouvrir une enquête le 24 octobre dernier. Lex-dictateur a été inhumé dans le désert libyen dans un lieu maintenu secret.