Au moins un pilote de chasse canadien serait impliqué, tandis que le ministère de la Défense s’inquiète de « graves conséquences » possibles pour les intérêts du Canada

Un ancien pilote et instructeur de vol de l’armée américaine a récemment été arrêté en Australie et risque l’extradition vers les États-Unis parce qu’il est soupçonné d’avoir formé des collègues chinois et peut-être transmis des informations classées secrètes. Or, cette affaire touche d’autres pays occidentaux, avec notamment un cas au Canada.

Même si cette histoire est encore à l’état d’hypothèse, elle est traitée avec sérieux au ministère de la Défense nationale. Récemment de passage à Saint-Jean-sur-Richelieu pour une annonce, la ministre Anita Anand a même émis un commentaire sans équivoque à ce sujet.

« Nous sommes au courant de ces rapports et nous les examinons de plus près. La Loi sur la sécurité de l’information s’applique aux membres actuels et anciens, a dit la ministre en réponse à une question de Radio-Canada. Le non-respect de cette loi pourrait entraîner de graves conséquences. Nous faisons confiance aux anciens membres des Forces armées canadiennes et nous attendons d’eux qu’ils adhèrent aux valeurs de cette institution. Tout comportement susceptible de nuire aux intérêts nationaux canadiens constitue une violation de cette confiance et sera traité de manière appropriée. »

Le pilote américain arrêté en Australie, Daniel Edmund Duggan, est un ancien membre du Corps des Marines et pilote d’hélicoptère. Il se serait rendu en Chine en 2014 après avoir ouvert un service de vols touristiques, Top Gun Tasmanian, en Australie. Le FBI, qui a demandé son arrestation, n’a pas donné de détails supplémentaires sur ses motifs.

Le 18 octobre, la BBC indiquait qu’une trentaine d’anciens pilotes de la Royal Air Force, rattachés à une entreprise sud-africaine, la Test Flying Academy of South Africa (TFASA), avaient participé à la formation de pilotes de l’armée chinoise. D’anciens pilotes de France, du Canada, d’Australie et de Nouvelle-Zélande auraient aussi travaillé en Chine.

Dans une déclaration sur son site internet, TFASA a réagi en affirmant : « Aucun de nos formateurs n’est en possession d’informations juridiquement ou opérationnellement sensibles relatives aux intérêts de sécurité nationale d’un pays. »

Professeur au département de politique et d’administration publique de l’Université de Limerick, en Irlande, et spécialiste du comportement des forces armées dans les conflits contemporains, Scott Fitzsimmons juge néanmoins cette situation délicate.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ DE LIMERICK

Scott Fitzsimmons

« On est ici en face d’un rival, voire d’un probable opposant dans des conflits futurs, note le chercheur, qui est d’origine canadienne. […] Les pilotes possèdent des informations classées secrètes comme la distance que peut parcourir un missile ou la consommation d’essence de leur appareil dans une situation donnée. »

Les informations de ce genre constituent une mine d’or pour un pilote ennemi puisqu’elles lui permettent de mieux s’adapter en situation de combat.

Une rémunération conséquente

Entraîner des pilotes d’un autre pays n’est pas punissable. Du moins au Royaume-Uni. Dans une réponse à la BBC, un responsable de l’armée a dit que la trentaine de pilotes britanniques qui auraient formé des collègues chinois n’auraient enfreint aucune loi.

Pas plus d’ailleurs que les quelque 500 anciens officiers de haut rang de l’armée américaine qui ont travaillé, comme civils, pour des États du Moyen-Orient, dont l’Arabie saoudite, selon une récente enquête du Washington Post.

Mais le risque de transmettre des secrets dans de telles circonstances constitue une facette très délicate… et punissable. C’est cela qui fait tiquer les gouvernements qui tentent de dissuader cette pratique consistant à aller travailler chez de potentiels adversaires.

Qu’est-ce qui attire les pilotes occidentaux en Chine ? L’argent !

« Les salaires offerts approchent 400 000 $, indique Scott Fitzsimmons en entrevue. Il n’y a rien qui approche cela, même pas les salaires offerts dans l’aviation civile. Et les personnes concernées ne paient sans doute pas d’impôts en Chine. Mais les dangers auxquels ils exposent leurs anciens collègues sont si élevés que cela soulève de graves questions éthiques. »

Une question éthique

Selon Daniel Lagacé-Roy, professeur associé au département de psychologie militaire du Collège militaire royal (CMR) du Canada, les personnes concernées par ce genre de propositions doivent faire la part des choses entre ce qui est légal et ce qui est moral. « Les gens doivent se poser des questions : est-ce que je veux le faire ? Est-ce contre mes valeurs ? », expose-t-il.

M. Lagacé-Roy indique que les officiers inscrits au CMR suivent un cours d’éthique, obligatoire pour tous, à leur quatrième année de formation.

IMAGE TIRÉE D’UN MANUEL DES FORCES ARMÉES CANADIENNES

Couverture du manuel d’éthique au programme de la formation offerte au Collège militaire royal du Canada

Le ministère de la Défense Nationale et les Forces canadiennes ont par ailleurs un Code de valeurs et d’éthique que tous les membres doivent connaître et suivre, indique Daniel Lagacé-Roy. « À tous les ans, chaque unité des Forces armées canadiennes doit revoir les principes et valeurs présentés par le Programme d’éthique de la Défense », ajoute-t-il.

En avançant dans les échelons de l’armée, ils vont en suivre d’autres. Et leur niveau de sécurité risque aussi d’être relevé.

Plus on monte en grade, plus on peut être confronté à des conflits d’intérêts, car on possède des connaissances que les officiers juniors n’auront pas.

Daniel Lagacé-Roy, professeur associé, Collège militaire royal du Canada

Mercredi, en répondant à une question de La Presse par courriel, les Forces armées canadiennes ont indiqué que les procédures de vérification lancées à la suite d’allégations concernant un ancien pilote canadien étaient « toujours en cours » et qu’il n’y avait « rien de neuf à signaler ».

Avec Forbes, le Washington Post, TV5 Monde et la BBC

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    En 2021, nombre d’aéronefs de tous les types dans la Force aérienne chinoise. La Chine arrive au troisième rang après la Russie (4143 aéronefs) et les États-Unis (13 232).
    SOURCE : FLIGHTGLOBAL. COM