(Erevan) Larissa a 14 ans, de discrètes boucles d’oreilles et un rêve : continuer d’aller à l’école. Mais l’offensive azerbaïdjanaise au Haut-Karabakh a bouleversé sa vie et celle de milliers d’autres enfants arméniens confrontés au trauma de la guerre et de l’exil.

Il y a à peine trois semaines, cette adolescente au regard timide était une collégienne sans histoire à Khndzristan, un village de cette enclave arménienne en territoire azerbaïdjanais au cœur de plusieurs guerres sanglantes depuis la dislocation de l’URSS.

Aujourd’hui, elle passe le temps en s’occupant de ses deux frères cadets, dont l’un est handicapé moteur, dans la modeste maison d’Erevan où sa famille s’est réfugiée, chassée par la reconquête azerbaïdjanaise du Haut-Karabakh.

Le monospace hors d’âge garé devant l’entrée est à peu près tout ce qui leur reste. « J’ai juste pris quelques vêtements, les jouets ce n’est plus de mon âge », sourit la jeune fille qui aspire à devenir « cardiologue ».

Malgré le dénuement et l’exil, sa mère Marian veut croire à des jours meilleurs. « Quand elle retournera à l’école, ça ira mieux », dit cette professeure de chimie qui, pendant la fuite, a tout fait pour « cacher ses émotions à ses enfants » pour ne pas aggraver leurs tourments.

Fondée en 2016, l’association Huysi Katil (« Goutte d’espoir » en arménien) leur vient en aide en apportant des denrées de base, mais aussi en offrant les services d’une psychologue qui tente d’apaiser le trauma des enfants et d’aider les parents à trouver la parole juste.

« On ne peut pas leur dire que tout va bien, on ne peut pas leur raconter des contes de fées », décrit le Dr Lilith Haïrapetian.

« L’anxiété est partout »

Le défi de la scolarisation des réfugiés et de leur prise en charge psychologique est immense dans un pays persuadé que son existence est menacée par ses voisins – Turquie à l’ouest, Azerbaïdjan à l’est – et toujours traumatisé par les massacres par l’Empire ottoman de jusqu’à 1,5 million d’Arméniens en 1915-1916, reconnus comme génocide par de nombreux historiens et une trentaine de pays, mais pas par la Turquie.  

« L’anxiété est partout et il y a la peur de perdre notre pays. Il faut apprendre aux enfants à faire face à la réalité », poursuit le Dr Haïrapetian.

Ceux qui ont grandi au Karabakh n’ont pas besoin de grandes explications, eux qui ont été confrontés aux bruits de bottes dès leur plus jeune âge.

Âgé de sept ans, Marat Baghissian a déjà connu le conflit de 44 jours au Karabakh en 2020 et a vu l’histoire se répéter les 19 et 20 septembre derniers lors de l’offensive éclair menée par les troupes de Bakou.

« Je rentrais de l’école, je me suis changé pour aller jouer dehors et j’ai entendu les bombardements », raconte le garçonnet aux grands yeux noirs et aux mocassins élimés. « Je suis tout de suite rentré à la maison ».  

Lui aussi a pris la route de l’exil vers Erevan avec son ballon de foot, ses deux sœurs cadettes et ses parents. « C’était un très long voyage, mais je n’ai pas dormi », dit-il.  

Ils ont trouvé refuge dans un appartement vétuste de la capitale où s’entassent dix membres de la famille, dont sa mère enceinte de plusieurs mois. Mais lui a au moins la chance d’avoir rapidement trouvé une place dans une école où l’accueil de ses camarades a été, dit-il, chaleureux.

« C’est bien ici, mais c’était bien là-bas aussi », reprend-il, décidé à retourner un jour au Karabakh qu’il considère comme sa « mère-patrie ».  

Venu là aussi rendre visite à cette famille, le Dr Haïrapetian s’enquiert de l’état psychologique des enfants, mais garde aussi un œil sur les adultes, notamment les hommes souvent taiseux et pourtant brisés par l’exil.

« Le problème c’est qu’ils ne veulent pas parler, ils ne veulent pas montrer leurs sentiments », dit la praticienne. « Ils ont honte d’avoir tout perdu, de ne plus pouvoir soutenir leurs familles et craignent de ne plus être un bon exemple pour leurs enfants ».