Lors du plus grand rassemblement politique de femmes en Chine, c’est principalement un homme qui a été vu et entendu.

Xi Jinping, le dirigeant du pays, était assis au centre de la scène lors de l’ouverture du Congrès national des femmes. Un gros plan de lui a fait la une du journal du Parti communiste chinois le lendemain. Depuis une grande table ronde, M. Xi a fait la leçon aux déléguées lors de la séance de clôture du Congrès, à la fin d’octobre.

« Nous devrions encourager activement un nouveau type de culture du mariage et de la procréation », a-t-il déclaré dans un discours, ajoutant que c’était le rôle des responsables du Parti d’influencer les opinions des jeunes sur « l’amour et le mariage, la fertilité et la famille ».

PHOTO JADE GAO, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Xi Jinping, président de la république populaire de Chine

Le Congrès national des femmes, qui se tient tous les cinq ans, est depuis longtemps l’occasion pour le Parti communiste au pouvoir de démontrer son engagement en faveur des femmes. Ce geste, essentiellement symbolique, a pris plus d’importance que jamais cette année, car c’est la première fois en 20 ans qu’il n’y a pas de femmes dans l’organe exécutif du Parti chargé de définir les politiques.

Ce qui est remarquable, c’est la façon dont les responsables ont minimisé l’importance de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ils se sont plutôt efforcés d’utiliser le rassemblement pour promouvoir l’objectif de Xi pour les femmes chinoises : se marier et avoir des enfants. Dans le passé, les responsables avaient évoqué le rôle des femmes à la maison et sur le marché du travail. Mais dans le discours de cette année, M. Xi n’a fait aucune mention des femmes au travail.

Le Parti a désespérément besoin que les femmes aient plus de bébés. La Chine est plongée dans une crise démographique en raison de l’effondrement de son taux de natalité, qui entraîne une diminution de sa population pour la première fois depuis les années 1960. Les autorités s’efforcent d’inverser cette tendance, irréversible selon les experts, en tentant une série d’initiatives, telles que des distributions d’argent et des avantages fiscaux, afin d’encourager la natalité.

« Les femmes ont été alarmées par cette tendance »

Face à la crise démographique, au ralentissement de l’économie et à ce qu’il considère comme une montée obstinée du féminisme, le Parti a choisi de renvoyer les femmes à la maison, en leur demandant d’élever les enfants et de s’occuper des personnes âgées. Selon M. Xi, ce travail est essentiel pour « la voie de la modernisation de la Chine ».

Mais pour certains, sa vision ressemble davantage à une régression inquiétante.

« Les femmes en Chine ont été alarmées par cette tendance et se sont défendues au fil des ans », a affirmé Yaqiu Wang, directrice de recherche pour Hong Kong, la Chine et Taïwan à Freedom House, une organisation à but non lucratif établie à Washington.

De nombreuses femmes chinoises sont autonomes et unies dans leur lutte contre la double répression en Chine : le gouvernement autoritaire et la société patriarcale.

Yaqiu Wang, directrice de recherche pour Hong Kong, la Chine et Taïwan à Freedom House

Le Parti n’a pas répondu à de nombreuses préoccupations, considérant certaines questions soulevées par les femmes comme un défi direct à son leadership. Les discussions sur le harcèlement sexuel, la violence de genre et la discrimination sont étouffées sur les réseaux sociaux. Le soutien aux victimes est souvent éteint. Des féministes et des défenseurs de la cause des femmes qui s’expriment ouvertement ont été emprisonnés, et le mouvement #metoo, qui a brièvement prospéré en 2018, a été repoussé dans la clandestinité.

Renaissance des valeurs « traditionnelles »

Le langage utilisé par les hauts fonctionnaires lors du Congrès national des femmes à Pékin était un autre aperçu de la façon dont le Parti voit le rôle des femmes. Xi a mis en avant un programme de ligne dure pour faire avancer sa vision d’une Chine plus forte, qui comprend une renaissance de ce qu’il considère comme les valeurs traditionnelles.

Lors du congrès, il a encouragé les dirigeantes à « raconter de bonnes histoires sur les traditions familiales et à guider les femmes pour qu’elles jouent leur rôle unique en perpétuant les vertus traditionnelles de la nation chinoise ».

S’écartant d’une tradition vieille de deux décennies, l’adjoint de M. Xi, Ding Xuexiang, n’a pas prononcé, dans son discours d’ouverture du congrès, une phrase classique, celle selon laquelle l’égalité entre les hommes et les femmes est une politique nationale fondamentale.

Ce qu’ils disent maintenant, c’est que la place légitime des femmes dans la société – là où elles peuvent faire le travail le plus important – est à la maison avec la famille.

Hanzhang Liu, professeure d’études politiques au Pitzer College

Mais ce n’est pas au Congrès des femmes que se joue la bataille pour leurs droits. Organisé par la Fédération des femmes de Chine, un groupe qui œuvre à la promotion des politiques du Parti et qui est financé par ce dernier, ce congrès tend à représenter le statu quo politique.

Par conséquent, une grande partie des discussions de cette année a porté sur le fait d’encourager les dirigeants du Parti à promouvoir les valeurs familiales traditionnelles. Ce langage révèle le calcul que les fonctionnaires ont fait : en vantant les vertus du passé de la Chine, ils veulent inciter les femmes à se concentrer sur la famille. Ils espèrent ainsi améliorer la démographie.

Le gouvernement sous pression

Renvoyer les femmes à la maison – et hors du marché du travail – est également pratique à un moment où la Chine est confrontée à son plus grand défi économique depuis 40 ans et où le gouvernement est sous pression pour améliorer un système de protection sociale gravement sous-développé et incapable de soutenir une population qui vieillit rapidement.

« Les femmes ont toujours été considérées comme un instrument de l’État, d’une manière ou d’une autre », a déclaré Minglu Chen, maître de conférences à l’Université de Sydney, qui étudie les questions de genre et de politique en Chine. « Mais aujourd’hui, nous devons penser à l’économie politique de la Chine ».

« Il est dans l’intérêt du Parti de mettre l’accent sur le retour des femmes au foyer, où elles peuvent s’occuper des enfants et des personnes âgées. »

La tendance à la diminution des mariages et des naissances se dessine toutefois depuis des années, et Xi pousse les femmes à jouer un rôle qu’elles ont longtemps rejeté. Dans les grandes villes chinoises, de nombreuses femmes jeunes et éduquées ont savouré leur indépendance financière et se méfient du mariage en raison de la pression exercée sur elles pour qu’elles aient des enfants et qu’elles abandonnent tout.

Les jeunes adultes sont ambivalents quant au fait de se marier et de se ranger, et ils s’inquiètent de l’avenir en voyant l’économie s’effondrer et le chômage grimper en flèche. La Chine est également l’un des pays où élever un enfant coûte le plus cher au monde.

Malgré tous les appels de Xi aux femmes pour qu’elles se mobilisent en faveur de la natalité, il est peu probable que les efforts du Parti parviennent à augmenter suffisamment le taux de natalité pour inverser la tendance au déclin de la population du pays. À moins qu’il ne soit prêt à recourir à des mesures plus punitives pour désavantager ou marginaliser les femmes qui choisissent de ne pas avoir d’enfants.

Bien que cela soit peu probable, Fubing Su, professeure de science politique au Vassar College, a affirmé que cela n’était pas totalement exclu. Pendant la politique de l’enfant unique, le Parti a eu recours à des amendes, des avortements forcés et des stérilisations pour tenter de ralentir la croissance démographique pendant des décennies, jusqu’à ce qu’il mette fin aux restrictions en 2015.

« Si le Parti a pu sacrifier le corps des femmes et leurs droits à la naissance pour sa politique de l’enfant unique, il pourrait à nouveau imposer sa volonté aux femmes », a soutenu Mme Su.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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