C'est l'histoire d'un homme qui a connu un long et difficile parcours pour arriver à la tête d'un pays qu'il aime avec passion. Sur cette terre pleine d'espoir, cet homme côtoie des êtres faits «pour durer», et c'est ce qui l'anime. Dans le troisième volet de sa série sur le Burkina Faso, notre journaliste Réjean Tremblay relate la rencontre qu'il a eue avec le président Blaise Compaoré.

«Vous savez, ma préoccupation, c'était ce qu'il y avait sur la terre. Pas ce qu'il y avait dedans. L'agriculture, nourrir les gens, c'était le Burkina Faso. Quand on creusait, c'était pour trouver de l'eau. Les mines, je ne connaissais pas vraiment.»

Nous sommes dans une des résidences du président du Burkina Faso, Son Excellence Blaise Compaoré. Derrière le palais présidentiel, dans la nouvelle partie baptisée Ouaga 2000. Au bout de ce qui pourrait rappeler les Champs-Élysées... s'il y avait des constructions. Tout est neuf. Et absolument majestueux.

Blaise Compaoré reçoit l'homme d'affaires Benoît La Salle et deux de ses collaborateurs. On discute de l'ouverture officielle de la mine d'or de Mana. M. Compaoré, 56 ans, est grand et athlétique. Une prestance à couper le souffle. On comprend mieux l'incroyable ascendant qu'il exerce sur ses ministres.

Il faut dire que Blaise Compaoré, après une arrivée au pouvoir dramatique il y a plus de 20 ans, rayonne sur le continent africain. La veille de notre entretien, il était en Égypte. Il a été le médiateur qui a réglé le conflit en Côte-d'Ivoire; on a demandé sa médiation au Togo; il a publiquement déclaré que les pays africains devaient agir dans la crise du Zimbabwe et il a nommé un de ses ministres pour tenter de régler l'horrible situation du Darfour. «On va s'occuper du Darfour. Il le faut. Le Soudan est un pays clé en Afrique. C'est là que se rencontrent l'Afrique de tendance arabe et l'Afrique de tendance nègre. On doit trouver une solution», dira-t-il plus tard en entrevue.

Quant à ses médiations, y compris celle en faveur de Kadhafi devant les Américains, il explique: «Ça ne donne rien que les deux parties se parlent. Ça ne va qu'envenimer la crise. Je prépare un document sur les points que je crois essentiels et j'en discute avec une des parties, puis avec l'autre. Je prévois un arbitrage en cas de conflit et c'est toujours moi qui suis l'arbitre. Ça fonctionne.»

Dans quelques minutes, ce sera mon tour. En arrivant, j'ai remis à M. Compaoré une lettre de Jean Charest invitant le président à venir le rencontrer à Québec au mois d'octobre. «Je suis flatté par l'invitation. Je suis d'ailleurs conférencier au Québec le 16 octobre», note au passage M. Compaoré.

Il reprend la conversation avec ses invités québécois. Le Burkina Faso et Semafo ont conclu une entente pour entreprendre des études de faisabilité pour la construction de centrales électriques alimentées par l'énergie solaire. Le président approuve l'idée devant son ministre de l'Énergie. Une approbation qui n'a pas de prix. «Notre difficulté majeure au Burkina Faso, c'est l'électricité. C'est l'énergie. Nous devons importer le pétrole pour produire notre électricité. Si nous pouvons exploiter l'énergie solaire, ce sera un pas important pour notre économie et notre société», assure-t-il.

Le message est passé. Le projet est lancé.

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Si c'était M. Compaoré qui présentait le Burkina Faso aux lecteurs de La Presse, qu'écrirait-il?

Il réfléchit quelques secondes, puis répond d'une voix posée: «C'est une terre enclavée, à 1000 kilomètres de la mer. Une terre des hommes, des hommes qui ont duré. Malgré cet environnement plein de difficultés et d'obstacles, on ne lâche pas, on reste plein d'espoir. Ces hommes vont durer, ils vont exister mais surtout, ils vont émerger. Prospérer. On a des ressources. De l'or, de l'uranium, du soleil. Il nous manque l'électricité. On va y arriver.

«Vous savez, le Burkina Faso est sans doute le seul pays africain où les colonisateurs ont dû respecter les frontières ethniques. En 1932, la France avait divisé le territoire en trois parties pour les greffer aux pays voisins. Nous avons tellement bien résisté qu'en 1947 la France a été obligée de reconstituer le territoire dans son intégralité.»

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Ce pays sous-développé joue un rôle bien plus grand que son économie le lui permettrait. Le grand rêve de Compaoré est d'arriver à une union économique entre tous les pays de l'Afrique de l'Ouest. On parle de près de 400 millions d'habitants. «Une union dans laquelle il n'y aurait plus besoin de passeport pour aller d'un pays à l'autre, où les tarifs douaniers seraient unifiés et où la libre circulation des travailleurs serait permise. Le projet Afrique de l'Ouest 2020 est celui d'une communauté économique et d'une Afrique de l'Ouest sans frontières. Je pense que malgré ses difficultés, le Burkina Faso est assez fort et mûr pour y jouer un rôle important. Nos institutions démocratiques sont solides», explique-t-il.

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Ces institutions reposent sur une constitution qui a donné naissance à la IVe République en 1991. Elle garantit les principales libertés individuelles et la liberté de presse. «À part quelques moments dans les régimes d'exception, la liberté de se syndiquer et la liberté d'opinion ont toujours été respectées au Burkina Faso. C'est un acquis. Nous avons une démocratie qui est bien implantée. Il y a eu des crises. Par exemple, les 17 et 18 décembre 1975, il y a eu deux jours de grève générale. Ouagadougou était une véritable ville morte. Mais les institutions ont tenu», dit M. Comparoé.

D'ailleurs, ce qui consolide le prestige de Compaoré sur la scène internationale, c'est que toutes les élections auxquelles il a participé se sont bien déroulées et n'ont jamais été contestées. Ni par les locaux ni par les observateurs internationaux. La dernière fois, sept candidats étaient opposés au président.

Le sujet qui pourrait être tabou au Burkina est évidemment la succession de M. Compaoré. Techniquement, il lui reste à terminer son mandat actuel et un autre de cinq ans. Sept ans en tout. Mais personne ne semble imaginer un Burkina Faso qui ne serait pas présidé par Blaise Compaoré. Il hausse les épaules quand on aborde le sujet: «Vous savez, ce qui compte, ce sont les institutions. Si les institutions sont bien vivantes, on peut toujours débattre des sujets et des situations. La paix sociale dépend la plupart du temps des problèmes fondamentaux. S'il y a une famine ou si l'État n'est plus capable de payer les salaires et d'assurer les sécurités de base, alors les vrais troubles commencent», ajoute-t-il.

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Ce grand gaillard connaît bien et aime beaucoup Jean Charest. Il a visité la Baie-James et connaît les pourcentages d'électricité que le Québec et l'Ontario peuvent exporter.

Quand il a commencé sa carrière comme militaire, il jouait en première division dans trois sports: le football, le volley-ball et le handball. «J'ai toujours été un sportif. Par la suite, toujours dans l'armée, j'ai suivi l'entraînement des commandos et des parachutistes. Je fais du ski et j'ai même dormi dans un iglou.» Il sourit et ajoute: «C'est quand même surprenant pour un homme du Burkina.»

Il est le père d'une fille de 12 ans qui, comme il le souligne, excelle en natation et au foot.

On en saura encore plus le 16 octobre quand il sera à Montréal.

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Il n'y a pas d'analyse qui tienne quand on est en Afrique. On a quitté le palais présidentiel, un peu assommé par la magnificence des lieux.

Puis, dans l'après-midi, des Québécois ont visité un centre hospitalier de la fondation Suka, la fondation de Mme Compaoré. C'est un centre censé permettre aux femmes d'accoucher dans de meilleures conditions. Mais quelles conditions! Chaleur torride, trop de mouches, des efforts inouïs, mille fois plus de bonne volonté que de moyens...

Mais avant ces efforts de la fondation, il y a 10 ans, il n'y avait rien.

Je suppose qu'on mesure un homme ou un pays non pas à l'endroit où il est rendu, mais au chemin parcouru. Et à sa vision.

Mais ça part de tellement loin. Tellement loin.