À la veille du Sommet de la francophonie, qui s'ouvre demain à Québec, le Rwanda a décidé d'adopter l'anglais comme langue d'enseignement à tous les niveaux et aussi comme langue d'administration.

«Nous donnons la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et qui servira notre vision de développement du pays», a déclaré mardi le président Paul Kagamé dans une école primaire de Kimhurura.

Il a ajouté que l'anglais était meilleur pour les affaires et faciliterait l'intégration du pays à la Communauté d'Afrique de l'Est, dont les membres (Kenya, Ouganda et Tanzanie) sont anglophones.

Colonisé par la Belgique, le Rwanda, petit État d'Afrique des Grands Lacs, est membre de la francophonie depuis ses débuts en 1970.

Le passage à l'anglais a été décidé la semaine dernière par le cabinet à Kigali. La décision ordonne au ministère de l'Éducation de remplacer le français par l'anglais comme langue d'enseignement depuis le primaire jusqu'à l'université.

Le français sera enseigné comme langue seconde, avec le kinyarwanda, langue nationale des 10 millions de Rwandais, et cousin du kirundi, la langue du Burundi voisin (8,5 millions d'habitants).

Pas de consultation

Selon NKB, radio rwandaise sur le web émettant de Bruxelles, la décision touche aussi les fonctionnaires et les plaideurs car l'anglais va s'imposer comme langue de l'administration au Rwanda.

«Comment les instituteurs, les fonctionnaires et les avocats d'expérience vont-ils survivre dans ce contexte de transition?» s'est interrogée la radio.

«C'est une décision scandaleuse. Le peuple n'a pas été consulté. Dictatorial, Kagamé a imposé le changement pour renforcer la petite élite anglophone venue avec lui d'Ouganda, du Kenya, de Tanzanie et d'Amérique du Nord avec la guerre», a dit Augustin Baziramabo, du Congrès rwandais du Canada.

Le virage anglais est vu aussi comme une rupture de plus avec la France, que Kagamé accuse de complicité avec l'ancien régime et avec les responsables du génocide de 1994 - surtout que la justice française cible son entourage pour la destruction de l'avion de l'ancien président Juvénal Habyarimana, événement déclencheur du génocide.

Les signes étaient déjà dans l'air. La Société culturelle franco-rwandaise, ancien coeur de Kigali, a été fermé, avec l'École française internationale, l'ambassade de France et les bureaux de firmes françaises.

À l'inverse, le British Council, organisme gouvernemental de diffusion de la culture anglaise dans le monde, s'est installé au Rwanda, qui a aussi fait une demande d'adhésion au Commonwealth.

«Ce ne sont pas les Français que Kagamé punit, ce sont les Rwandais de la vieille société», a estimé Baziramabo. «Sa nouvelle société, c'est pour l'élite anglophone venue après 1994 et pour leurs enfants, avantagés par l'anglais à la maison, alors que les autres enfants en sont exclus», a-t-il dit.

Kagamé, militaire formé aux États-Unis, ne sera pas parmi la trentaine de chefs d'État et de gouvernements attendus au 12e Sommet de la francophonie, prévu du 17 au 19 octobre pour coïncider avec le 400e anniversaire de Québec.

Les organisateurs du Sommet ont refusé de commenter la décision de Kigali. Ils ont renvoyé La Presse au secrétariat de l'organisation de la francophonie à Paris, qui n'avait pas communiqué avec le journal jusqu'à hier soir.

La venue de Kagamé au Canada a toujours suscité la controverse à cause du débat autour de sa part de responsabilités présumées dans le carnage au Rwanda et au Congo dans les années 90.

Controverse relancée hier par le Congo qui, à l'ONU, a accusé le Rwanda de toujours soutenir la rébellion du général Laurent Nkundu au Kivu. «Cela évitera à Kagamé de croiser son homologue congolais Joseph Kabila», ont estimé des sources proches du Sommet de Québec.

Avec AFP, AP, Reuters, New Times, Guardian, BBC, lesafriques.com