L'heure de pointe matinale est chaotique au centre-ville de la capitale kényane. Voitures, camions, autobus, livreurs de journaux ambulants et mkoko teni - sortes d'hommes-chevaux qui galopent devant de vieux chariots déglingués remplis de cargaisons de toutes sortes - se bousculent dans les rues accidentées et poussiéreuses.

Au terminus local, des dizaines de minibus - les matatu - tentent de se faufiler à travers la foule colorée.

Dans ce bordel ambiant, difficile de manquer les photographies d'un Barack Obama triomphant et de sa femme, Michelle, placardées sur de nombreux véhicules.

Comme partout au pays, la capitale du Kenya vibre au rythme de l'obamanie.

Les origines kényanes du 44e président des États-Unis ont vite fait de lui un héros local, une incarnation de l'espoir, une idole vénérée.

Barack Obama fait désormais partie du paysage, tout comme les palmiers et ces marchands assis par terre devant leur récolte de fruits, à la station d'autobus.

Il suffit de sortir un calepin pour se faire assaillir de toutes parts par des sympathisants euphoriques. «On l'aime parce qu'il est venu dans notre pays. Il pourrait faire des investissements au Kenya, nous aider à avoir de la nourriture, de l'éducation, des infrastructures et encourager nos leaders politiques à être plus transparents», lance Geoffrey Anyimu, un chauffeur d'autobus. «C'est un président du peuple!» ajoute-t-il dans l'approbation générale.

Bière, t-shirts et casquettes

Près du stationnement, au fond d'une ruelle, se trouve un petit bar glauque aménagé entre quatre murs de tôle. Plusieurs clients y trinquaient à la President, une nouvelle bière très populaire, baptisée en l'honneur d'Obama. «Elle s'appelait jusqu'à tout récemment la Senator, mais le nom vient d'être changé», souligne le barman. Devant lui, plusieurs clients éméchés scandent «Obama! Obama!» à tue-tête.

À quelques rues de là, les frères Guma alimentent à leur manière la fièvre Obama. Dans leur vieil atelier, ils impriment des t-shirts et des casquettes à l'effigie du nouveau président. «La demande est très forte, on en a fait 6000 en un mois», raconte Peter, l'aîné des cinq frères Guma. Ils utilisent une vieille presse rouillée et un séchoir à cheveux pour immortaliser le sourire d'Obama. «Même si la concurrence est devenue féroce, Obama est bon pour les affaires», résume Peter Guma.

Les t-shirts et casquettes des frères Guma aboutissent ensuite dans les boutiques des environs, notamment rue Biashara, où s'alignent plusieurs marchands de vêtements. «Relaxe, Obama a les choses en main», peut-on lire sur un des t-shirts en vitrine.

Le visage du nouveau président se retrouve même sur les khangas, ces vêtements traditionnels noués à la taille des femmes.

La frénésie Obama s'est aussi répandue dans les ruelles boueuses de Kibera, un des plus grands bidonvilles du continent - sinon le plus grand.

Environ 1,5 million de personnes s'entassent dans quelques kilomètres carrés, sans électricité ni eau courante. Pour la plupart venues des campagnes chercher du boulot à Nairobi, elles ont plutôt gonflé les rangs de cet immense cul-de-sac surpeuplé, rempli de bicoques en tôle rouillée et d'abris de fortune de tout acabit. Dehors, une forte averse s'abat sur la ville, la première depuis trois mois.

Comme plusieurs, Mohamed Suleman espère que Barack Obama va faciliter l'entrée des Africains en sol américain. Cet Ougandais de 29 ans doit se battre tous les jours pour dénicher de petits boulots. Aujourd'hui, il a été embauché pour ériger un muret de pierre devant un commerce afin d'empêcher l'eau de s'infiltrer. «J'ai une famille à nourrir mais je suis chanceux, la plupart des gens chôment, ici», explique M. Suleman.

De l'autre côté de la «rue», des vendeurs de charbon sont installés sur le sol couvert de déchets. Sur les échoppes rudimentaires des environs - barbier, laitier, salon de thé, etc. - les enseignes sont peintes à la main.

Pour Arthur Shakira, autre résidant du bidonville, l'ascension d'Obama à la Maison-Blanche est une bénédiction des dieux. «Un Noir du Kenya va diriger des Blancs! On va enfin vous diriger! badine ce jeune père de famille. Nous sommes très contents de voir Obama devenir président, mais nous aimerions mieux célébrer l'estomac plein», ajoute-t-il.

Même si Barack Obama a grandi à Hawaii et en Indonésie, presque tous les Kényans interrogés le considèrent comme un des leurs.

Mais plusieurs ne rêvent pas en couleur. À commencer par Richard Muley, un marchand rencontré près de ses cages à poulets empilées les unes sur les autres. L'homme, qui habite le bidonville depuis 38 ans, hausse les épaules lorsqu'il entend parler de Barack Obama. «Moi, j'essaye de survivre», laisse-t-il tomber.

«Il faut se réjouir de son élection, mais je ne pense pas que ça va changer grand-chose. Son impact sera surtout symbolique pour les Africains», croit pour sa part Dohannes Orieny.

Une tâche colossale

Barack Obama aurait en effet fort à faire s'il voulait aider le pays de ses ancêtres à s'extirper du profond marasme qui le maintient en queue de peloton parmi les pays les plus pauvres du globe.

Dans ce paradis du safari, moins de la moitié des 35 millions d'habitants ont accès à l'eau potable. Le fléau du sida affecte aussi 2,5 millions de Kényans. Environ 700 d'entre eux en meurent chaque jour.

La semaine dernière, le gouvernement kényan était sur le point de déclarer l'état d'urgence devant la famine et la sécheresse qui plongent près de 10 millions de personnes dans l'insécurité.

Enfin, les élections contestées de l'an dernier avaient entraîné une flambée de violence interethnique entre les partisans des deux candidats à la présidence. Quelque 1 300 personnes avaient été tuées et 350 000 avaient été déplacées en quelques jours.

Un an plus tard, la tension est encore palpable entre les Luos et les Kikuyus, les deux ethnies en cause, si bien que plusieurs déplacés habitent toujours des camps de fortune insalubres.