Près de 25 ans et 70 000 morts plus tard, la guerre civile du Sri Lanka semble être entrée cette semaine dans la dernière ligne droite. Repoussés dans leurs ultimes retranchements, les Tigres de libération de l'Eelam tamoul se battent avec l'énergie du désespoir contre l'armée sri-lankaise. Dans la zone de combat, les belligérants ne sont pas seuls: 250 000 personnes sont laissées à elles-mêmes.

Les Nations unies tout autant que les organisations humanitaires qui oeuvrent au Sri Lanka sonnent l'alarme. «Ces civils sont confinés dans une zone de conflit dont la superficie est réduite de jour en jour. Ils vivent sous les tirs d'artillerie, au milieu des combats», a expliqué hier Laurent Sury, chef de mission de Médecins sans frontières au Sri Lanka, que La Presse a joint à Colombo.

 

Le travailleur humanitaire peut difficilement donner plus de détails sur le sort immédiat de ces 250 000 personnes membres de la minorité tamoule du Sri Lanka, prises en étau entre les guérilleros indépendantistes tamouls et l'armée sri-lankaise, sous commandement de la majorité cinghalaise.

Zone de combat sous verrous

Tout comme les autres organismes internationaux qui oeuvrent au Sri Lanka, Médecins sans frontières a été expulsé en septembre dernier de la zone de conflit dans l'est et dans le nord du pays. Les représentants des Nations unies ont connu le même sort.

L'information qu'a obtenue Médecins sans frontières ne provient pas non plus des journalistes. Ces derniers, locaux ou étrangers, sont proscrits dans le Vanni, où se déroulent les combats.

Les dépêches diffusées par l'armée, le gouvernement et les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), sont pour leur part contradictoires. Alors que l'armée dit avoir réussi à prendre dimanche, sans grandes pertes, la ville de Mullaittivu, dernier bastion des Tigres, le groupe de rebelles, sur les divers sites internet qu'il alimente, soutient avoir tué des milliers de soldats sri-lankais depuis l'intensification des combats au début janvier.

L'information la plus fiable que reçoivent les organisations humanitaires comme Médecins sans frontières provient notamment des rares blessés et malades que le Comité international de la Croix-Rouge réussit à évacuer de la zone de guerre. Ces évacuations, permises par le gouvernement et les Tigres, ne sont cependant pas une mince affaire. Avant de pouvoir venir en aide à quelque 230 blessés jeudi, le CICR a dû rebrousser chemin trois fois.

Les évacués étaient pour la plupart dans un état critique. Plusieurs ont subi des amputations et des blessures graves. D'autres sont en état de choc après avoir vécu la violence en direct, explique Laurent Sury qui supervise une équipe de personnel médical qui vient en aide aux rares rescapés.

Trêve rejetée

Craignant la dégradation de la situation déjà critique, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a demandé hier aux belligérants de conclure une trêve afin de laisser les civils quitter la zone de guerre.

Le gouvernement sri-lankais, qui a adopté la ligne dure contre les rebelles indépendantistes tamouls depuis l'élection du président Mahinda Rajapakse en 2005, a rejeté d'emblée l'idée d'un cessez-le-feu et demande à la guérilla tamoule de laisser partir les civils.

L'organisation Human Rights Watch, qui surveille de près la situation au Sri Lanka, note que les rebelles tamouls retiennent les civils dans la zone de combat depuis octobre 2008. HRW dénonce aussi les traitements que réservent les guérilleros à ces derniers: les travaux forcés et le recrutement d'enfants soldats sont deux des violations graves que l'organisme des droits de l'homme a répertoriées.

Mais HRW est loin de faire un portrait rose du comportement des autorités sri-lankaises à l'égard de la minorité tamoule. La plupart de ceux qui réussissent à s'échapper de la zone de combat sont maintenus dans des camps de détention militarisés.

Solidarité canadienne

Les inquiétudes pour les civils ne sont pas l'apanage des organismes internationaux. Au Canada, où vit la plus grande diaspora tamoule - soit près de 300 000 personnes -, des manifestations ont eu lieu toute la semaine. Hier, à Toronto et à Montréal, des centaines de personnes ont créé une chaîne humaine. Ils demandent notamment aux Nations unies d'envoyer un rapporteur spécial dans la zone affligée. «La propagande du gouvernement sri-lankais est difficile à déchiffrer. Il est essentiel d'avoir des yeux indépendants qui peuvent rapporter ce qu'il se passe vraiment», plaidait cette semaine Ramina Belindra, de Montréal, membre du comité d'action tamoul qui organise les manifestations de solidarité.

 

CHRONOLOGIE D'UN CONFLIT

Le conflit civil au Sri Lanka a commencé dès l'accession de l'île de l'Asie du sud, voisine de l'Inde, à l'indépendance. Dès 1948, la violence a éclaté entre la majorité cinghalaise bouddhiste et la minorité tamoule, majoritairement hindoue. Ce n'est cependant que dans les années 70 que les Tigres de libération de l'Eelam tamoul sont apparus. Avançant que les membres de la minorité tamoule étaient traités en citoyen de seconde classe par la majorité cinghalaise, ce mouvement veut l'indépendance pour les quelque 2 millions de tamouls. Les combats entre l'armée sri-lankaise et les rebelles ont commencé en 1983 et ont connu peu d'accalmie depuis. Un cessez-le-feu avait laissé miroiter la fin du conflit en 2002, mais les négociations ont échoué trois ans plus tard. Depuis l'élection du président Mahinda Rajapakse en 2005, le gouvernement sri-lankais a adopté la ligne dure contre les séparatistes tamouls. Les combats se sont particulièrement intensifiés l'an dernier. L'armée sri-lankaise a réussi à reprendre le contrôle de la majorité du territoire que contrôlait les Tigres dans le nord et dans l'est du pays. Les combats sont maintenant concentrés dans une zone de moins de 300 km2.