Quand il marche dans la rue, Alfred Kapole, sait que ses jambes, ses bras, sa peau, sa langue et ses cheveux valent des milliers de dollars : en Tanzanie les organes des albinos, recherchés pour leurs pouvoirs soi-disant magiques, se vendent à prix d'or. Alors il se cache.

«Un jour, on allait à l'hôpital avec le secrétaire et le trésorier de l'association des albinos quand des ouvriers ont commencé à crier : "tiens, voilà une bonne occasion de se faire du fric"», raconte Alfred, président de cette association pour la région de Mwanza (nord).

Les ouvriers furent arrêtés puis relâchés. «Il y a trop d'impunité, c'est pourquoi nous vivons dans la peur», poursuit-il tremblant comme une feuille, caché derrière ses lunettes et son chapeau de feutre noir.

Comme beaucoup dans son cas en Afrique de l'Est, il a dû quitter son emploi de peur d'être kidnappé, tué et démembré, comme 43 albinos assassinés l'année dernière dans ce pays - sans compter les nourrissons tués par leurs propres parents.

Selon la population, des sorciers utilisent les organes et les os des albinos dans des décoctions porte-bonheur qui, selon les croyances locales, permettent aux chercheurs de diamants de trouver des brillants, tandis que des pêcheurs utilisent leur cheveux pour appâter les poissons du lac Victoria.

En février 2008, Mariam Emmanuel, cinq ans, fut ainsi massacrée dans sa chambre. «En pleine nuit, trois hommes sont arrivés avec des torches. Ils l'ont empoignée et l'un d'entre eux a sorti un grand couteau. Un homme l'a égorgée tandis qu'un autre la maintenait. Elle se débattait», raconte sa soeur Mindi, 12 ans, alors cachée sous ses draps.

«Ils ont recueilli son sang dans un pot, l'ont bu, puis ont coupé ses deux jambes au niveau du genou et ont coupé sa langue. Ils ont mis tout ça dans un sac et sont partis», poursuit la fillette terrorisée.

Selon l'ONG canadienne Under the Same Sun (Sous le même soleil), la Tanzanie compte au moins 170.000 albinos sur une population de 38 millions d'habitants.

L'albinisme est une absence totale de pigmentation dans la peau, le système pileux et l'iris des yeux due à des facteurs génétiques. Les albinos sont victimes de discriminations dans de nombreuses régions d'Afrique, notamment au Burundi où des meurtres rituels ont aussi été enregistrés.

En Tanzanie, certains se sont réfugiés dans les hôpitaux de Dar es Salaam, mais dans les villages, ils restent exposés.

Près de Mwanza, une école pour aveugles est devenue un sanctuaire pour les petits albinos. «Nous avons mis un mur d'enceinte et le gouvernement essaye d'améliorer la sécurité en organisant davantage de patrouilles de nuit», raconte le professeur principal John Loudomya. «Nous avons actuellement 68 enfants mais le nombre augmente chaque jour».

Shaymaa Kwegyr, députée albinos nommée en 2008 par le président tanzanien Jakaya Kikwete, a fait une tournée dans la région en janvier. Depuis, trois personnes ont été tuées.

«Qui sont ces personnes qui achètent la main d'un albinos des millions de shillings (milliers de dollars) ? En tout cas, ils n'ont pas peur du gouvernement», déclare-t-elle à l'AFP.

Josephat Torner, d'Under the Same Sun à Dar es Salam, remarque qu'aucun pêcheur ou chercheur de diamants n'a les moyens d'acheter l'organe d'un albinos.

«Nous savons que les informateurs peuvent recevoir 100 dollars pour repérer un albinos vulnérable, que les meurtriers en gagnent des milliers, mais les vrais consommateurs n'ont pas été clairement identifiés», assure-t-il.