Depuis l'effondrement du gouvernement central, en 1991, la Somalie connaît une violence inouïe. Après plusieurs tentatives de reconstitution du gouvernement, les espoirs des habitants s'amenuisent. Attentats, bombardements, décapitations et lapidations guettent sans cesse leur quotidien. Pour fuir ce cauchemar, les victimes tentent de trouver refuge dans le camp de Dadaab, dans le nord du Kenya. Nos collaborateurs ont vécu dans ce labyrinthe de huttes faites de branches et de débris. Il est aujourd'hui le plus grand camp de réfugiés de la planète. Visite en enfer.

À Dadaab, seuls les marabouts, d'immenses oiseaux charognards, mangent à leur faim. La misère est si grande dans cet immense camp du Kenya que certains réfugiés somaliens, qui ont tout risqué pour fuir leur pays, décident de le regagner par leurs propres moyens.

 

En Somalie, un des endroits les plus dangereux sur terre, le sang coule depuis 1991. Le pays est toujours en proie à une guerre qui oppose les milices islamiques et les forces gouvernementales. Plus de 250 civils y sont morts le mois dernier dans les combats.

Plus de 280 000 personnes sont donc venues chercher la paix au Kenya. Les réfugiés s'empilent dans un amas d'abris de fortune, à une centaine de kilomètres à l'ouest de la frontière de la Somalie. C'est plus de trois fois la capacité initiale du camp.

Plutôt «mourir de faim»

Le soleil plombe et le mercure peut monter jusqu'à 50°C. Lorsqu'il pleut, le territoire se transforme en mer de boue. Pour Dahabo Youssouf Ali, la situation dans le camp de Dadaab est devenue insoutenable. Il y a un an, son voisin lui a payé le voyage de Mogadiscio jusqu'au Kenya pour sauver un de ses fils, blessé par une balle perdue. Plusieurs de ses enfants sont restés derrière elle en Somalie, faute d'argent.

«Je ne reçois pas d'aide et la vie est mauvaise, accuse-t-elle. Tant qu'à crever ici, je veux retourner en Somalie pour mourir de faim avec mes enfants. Je veux entendre siffler les balles et les bombes avec eux.»

La frontière kényane est officiellement fermée depuis 2008. Pourtant, plus de 5000 réfugiés arrivent chaque mois dans cet environnement hostile où l'eau, la nourriture et l'espace font défaut.

Raha Abdi Aden a fui la ville de Kismayo au mois de mai. La jeune femme de 20 ans au long voile noir a marché 10 jours dans le désert pour atteindre la frontière kényane. Elle vit maintenant dans une tente construite à l'aide de branches, de sacs de plastique et de guenilles.

«Mes parents et mes grands-parents sont morts en Somalie, dit-elle. Ils ne pouvaient pas courir. Les milices d'Al-Shabaab sont arrivées chez moi. Ils tuent ceux qui refusent de les appuyer.»

Trois fois trop de monde

Dadaab est constitué de trois énormes camps érigés par l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en 1991, après la chute du gouvernement de Siad Barre. Depuis, une génération a vu le jour dans ces fournaises, qui avaient été conçues pour recevoir 90 000 personnes.

«La terre, l'eau, la nourriture, tout était prévu pour ce nombre, affirme le porte-parole du HCR, Andy Needham. Il est urgent que le gouvernement kényan nous accorde de nouvelles terres pour ouvrir un quatrième camp.»

À un comptoir de distribution, les réfugiés se bousculent pour obtenir leur ration de farine, d'huile, de petits pois et de savon. Des policiers calment la foule à coups de bâton. «Il y a la paix ici, mais il n'y a pas assez de nourriture!» s'exclame Hassen Mohamed Indayar, venue rejoindre ses enfants à Dadaab en 2008.

Au mois d'avril, des pirates somaliens ont pillé un bateau du Programme alimentaire mondial destiné au camp. Lorsque la nourriture arrive à bon port, les distributions sont explosives.

À quelques mètres, deux enfants traînent d'immenses bidons jaunes remplis d'eau. L'or bleu est aussi une source de conflit. Le HCR estime que chaque réfugié a accès à environ 15 litres d'eau par jour. Toutefois, cette quantité s'évapore à mesure que les nouveaux arrivants prennent le camp d'assaut.

«Les nouveaux réfugiés se battent avec les anciens pour avoir de l'eau, affirme Sofia Sheik Ali, qui habite à Dadaab depuis moins d'un mois. Étant donné que les anciens se privent déjà, les nouveaux, eux, se retrouvent avec un galon d'eau par famille!»

«Emprisonnés»

Depuis août dernier, le HCR n'a tout simplement plus de terre à offrir à ceux qui arrivent à Dadaab. «Nous leur demandons d'habiter avec des amis ou des membres de leur famille, dit Andy Needham. Mais certains s'installent n'importe où sur des terres aux extrémités du camp qui ne nous sont pas désignées.»

Dans ces camps informels, il n'y a pas de services. Les réfugiés n'ont droit qu'à leur carte de ration. «Nous sommes emprisonnés, proteste Mohammed Farah Ahmoud, qui habite ce no man's land depuis août dernier. Impossible d'avoir une place dans le camp. La Somalie est trop dangereuse et le Kenya ne veut pas de nous. Nous avons fui notre pays pour aboutir dans cette prison.»

 

LA CRISE SOMALIENNE EN QUELQUES DATES

1990 > La capitale se soulève contre le dictateur Syad Barre.

Janvier 1991 > Le général Syad Barre est renversé par les rebelles du Congrès de la Somalie unifiée. Ali Mahdi Mohamed devient chef de l'État.

1991-1992 > Le pays connaît une grande famine.

Décembre 1992 > Le président George H. W. Bush (père) lance l'opération militaro-humanitaire «Restore Hope», placée sous l'égide de l'ONU. Elle comptera jusqu'à 38 000 hommes dont 28 000 Américains.

1995 > Fin du retrait des 8000 derniers casques bleus.

Mars 2006 > Début d'affrontements violents opposant les seigneurs de la guerre regroupés dans l'ARPCT à des miliciens de l'Union des tribunaux islamiques de Mogadiscio.

Juin 2006 > Après quatre mois de combats, les milices des tribunaux islamiques prennent Mogadiscio.

Novembre 2006 > Échec des pourparlers de paix entre le gouvernement de transition et les tribunaux islamiques.

Décembre 2006 > L'Éthiopie annonce officiellement son entrée en guerre et bombarde les positions tenues par les tribunaux islamiques.

Janvier 2007 > Début d'une série de raids américains dans le sud du pays contre des islamistes liés, selon Washington, à Al-Qaeda.

Septembre 2007 > Le nombre de Somaliens dépendant de l'aide humanitaire atteint le chiffre de 1,5 million et 3 millions se réfugient à l'extérieur.

Novembre 2007 > La crise humanitaire en Somalie est la pire de toute l'Afrique selon l'ONU.

Juin 2008 > Un nouvel accord de paix est conclu à Djibouti, sous l'égide de l'ONU.

Octobre 2008 > Trois navires de l'OTAN commencent à patrouiller au large de la Somalie pour une mission d'escorte et de dissuasion face aux pirates sévissant dans la région.

Janvier 2009 > L'Éthiopie annonce avoir achevé le retrait de ses troupes.

Avril 2009 > Instauration de la charia (loi islamique).

Source: L'Express