Après une dizaine de jours de manifestations au cours desquelles sept civils ont été tués en Côte d'Ivoire, un accord est survenu hier entre le parti au pouvoir et l'opposition. Un nouveau gouvernement remplacera celui qui a été dissous, le 12 février, par le président Laurent Gbagbo. Le travail pourra donc reprendre pour préparer les élections présidentielles, qui doivent avoir lieu cette année. Mamoudou Gazibo, professeur de science politique à l'Université de Montréal, fait la lumière sur cette crise.

Q: Qu'est-ce qui est à l'origine de la crise actuelle?

R: Depuis 2005, le président Laurent Gbagbo, élu en 2000, repousse la tenue d'élections. Chaque fois, il utilise un prétexte différent. Cette fois-ci, il a dissout le gouvernement et la Commission électorale. Cette dernière est un organisme indépendant, qui gère la tenue des élections. Gbagbo accuse l'opposition de manipuler les fichiers électoraux de la Commission électorale en inscrivant le nom de centaines de milliers de gens qui ne sont pas ivoiriens et qui voteraient pour l'opposition. C'est un nouvel argument pour retarder le scrutin. Cela fait cinq ans qu'il est au pouvoir sans être élu. Et maintenant, les gens sont excédés. Ils veulent des élections.

 

Q: La fracture identitaire et religieuse entre le nord et le sud du pays alimente-t-elle la crise?

R: Depuis 1993, les présidents ont utilisé le concept «d'ivoirité» afin d'asseoir leur pouvoir. Celui-ci reviendrait aux gens du Sud, majoritairement chrétiens, et exclurait ceux du Nord, musulmans. Le pays a également connu une immigration grandissante des pays musulmans voisins. Laurent Gbagbo a été élu président à la suite d'élections contestées en 2000. Il a repris le concept d'ivoirité dans ses discours. Une tentative de coup d'État en 2002 contre lui, suivie d'une guerre civile, ont véritablement fracturé le pays. Depuis 2002, Laurent Gbagbo se sert de l'instabilité politique pour reporter les élections. Toutefois, on ne peut pas dire que le gouvernement actuel ou l'opposition représentent davantage une partie ou l'autre du pays. Les partis de l'opposition ont des bases au Nord comme au Sud. De plus, les anciens rebelles du Nord de 2002 font maintenant partie du gouvernement. Ce n'est pas tranché au couteau.

Q: Les manifestations risquent-elles de prendre de l'ampleur?

R: On ne sait jamais jusqu'où ça peut aller. Les Ivoiriens avaient l'habitude, avant la guerre civile de 2002, de dire : «Vous savez, nous ne sommes pas comme les autres pays africains. Ici, c'est la paix.» Et on a vu comment ça peut dégénérer très vite. Maintenant, les gens sont excédés. Ils veulent des élections. Il y a vraiment une montée de lait. Ça peut dégénérer vers quelque chose de plus profond. L'opposition veut la démission du président et utilise tous les moyens pour le déloger. Elle a appelé à l'agitation populaire. Les jeunes font des barricades et parlent à la radio. Il y a une montée en force de l'agitation qu'on n'avait pas vue depuis longtemps, mais ce n'est pas encore l'insurrection, comme en 2002.

Q: Y a-t-il une solution politique à cette crise?

R: On peut penser que le médiateur du Burkina Faso, Blaise Compaoré, trouvera une façon de raccorder les morceaux. La Côte d'Ivoire n'a pas l'habitude d'avoir des militaires qui interviennent dans le jeu politique, contrairement à ce qu'on a vu au Niger récemment. Je pense que le dialogue peut reprendre entre les partis politiques. Mais il est certain que le président actuel ne gagnerait pas des élections, avec tous les partis d'opposition unis contre lui. Il attend encore des «conditions gagnantes» avant de les déclencher.