Dans l'assistance, les femmes ont applaudi à tout rompre. Les hommes, eux, sont restés impassibles.

Un millier de personnes, dont plusieurs députés et sénateurs, s'étaient rassemblées hier dans l'amphithéâtre du Palais du peuple, le parlement congolais à Kinshasa, pour entendre le discours de la gouverneure générale Michaëlle Jean.

Ils s'attendaient à ce qu'elle leur parle de Constitution ou de coopération. Mais elle a plutôt attaqué de front un sujet ultrasensible: l'épidémie de violence sexuelle qui sévit sur des pans entiers du territoire congolais, là où les groupes armés terrorisent les civils.

 

Ces agressions atteignent «un degré d'horreur inouï», a-t-elle dénoncé. Tellement que dans certains cas, on peut parler de «crimes contre l'humanité».

Cette désignation n'est pas anodine, a commenté, après le discours, la juriste québécoise Louise Otis, qui suit Michaëlle Jean dans sa tournée africaine.

Car si les agresseurs commettent des crimes contre l'humanité, «cela signifie qu'on peut les poursuivre non seulement en vertu des lois nationales, mais aussi devant la Cour pénale internationale», analyse-t-elle. Avant d'ajouter: «À la condition d'arrêter les agresseurs.»

Appareil judiciaire faible

C'est justement là que le bât blesse. Le gouvernement congolais a inclus la protection contre les crimes sexuels dans sa Constitution. Il a adopté une politique de tolérance zéro. Et la justice militaire a même intenté quelques procès. Mais la vaste majorité des agresseurs demeurent impunis.

«Il y a eu du progrès, le gouvernement a adopté des lois, mais l'appareil judiciaire est faible, la police n'a pas de ressources et les violeurs ne sont pas poursuivis», dénonce Margot Wallström, toute nouvelle représentante spéciale de l'ONU sur la violence sexuelle dans les conflits.

Lorsque nous l'avons rencontrée à Kinshasa, Margot Wallström rentrait de sa première visite du Nord-Kivu - une des régions les plus affectées par l'épidémie de viol. Elle n'en revenait pas du peu de moyens dont dispose la police. La brigade contre les agressions sexuelles de Goma, chef-ieu du Nord-Kivu, possède une seule motocyclette. Quand un policier arrête un suspect, il doit le transporter derrière son dos.

Avec son discours, où elle reprenait à son compte un rapport de l'ONU, la gouverneure générale a voulu lancer un message au gouvernement congolais: «Nous vous prenons au mot, maintenant, poursuivez les criminels», explique un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères.

L'assistance n'a peut-être pas saisi toutes les subtilités du discours. Mais les femmes l'ont accueilli avec enthousiasme. «La gouverneure générale nous a donné un appui très fort, elle est venue crever l'abcès», dit la ministre du Genre, Marie-Ange Lukiana Mufwankolo.

Dénoncer les viols dans l'est du Congo ce n'est pas nouveau, nuance la journaliste Mila Kimbuini. «Mais le fait que ça vienne d'une femme, qui est aussi chef d'État, noire et immigrée, ça, c'est différent», remarque-t-elle.

Rebelles rwandais

D'autres voix soulignent que la seule manière d'enrayer le fléau du viol, c'est encore de pacifier les régions où les rebelles font la loi. Et que la solution est avant tout politique.

La plupart des rebelles du Nord-Kivu appartiennent aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui regroupent des Hutus ayant fui le régime de Kigali. «Il faut que le président du Rwanda accepte de dialoguer avec eux, qu'ils s'assoient autour d'une table et se disent leurs quatre vérités, il faut qu'ils règlent les problèmes de leur pays», plaide la députée Mapati Kahindo. Selon elle, la seule façon de venir à bout des violences sexuelles, c'est de mettre fin à un conflit qu'elle ne considère pas comme le sien.

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Fragiles lueurs d'espoir

Il y a beaucoup de travaux à Kinshasa. La route défoncée qui mène de l'aéroport au centre-ville est en pleine réfection. Devant le Palais du peuple, des travailleurs chinois portant des chapeaux coniques s'affairent à aménager une grande place publique. «Kinshasa est en chantier, ça fait plaisir et ça donne de l'espoir», se réjouit Joseph Moke, informaticien de 47 ans. Il faut dire que la capitale congolaise part de loin. Trente années de dictature suivies de six années de guerre ont laissé des traces. Tout est délabré. Les caniveaux bouchés laissent refluer l'eau de la pluie et les passants y pataugent jusqu'aux genoux. La centrale électrique est défaillante et les pannes se multiplient. La nuit, la ville est plongée dans l'obscurité. À preuve: les délégués canadiens ont reçu dans leur paquet-cadeau une bougie et des allumettes. Au cas où. Mais le président Joseph Kabila a lancé de grands chantiers. Le premier concerne les infrastructures. Et comme ailleurs en Afrique, la Chine est de la partie. «J'ai vu la maquette de ce que sera notre ville quand le chantier sera terminé, se réjouit Joseph Moko. Dans cinq ou six ans, nous n'aurons rien à envier à d'autres villes, et peut-être même à l'Europe, pourquoi pas?»