La Coupe du monde inquiète les organismes de prévention du sida en Afrique du Sud. Dans ce pays où un adulte sur cinq est séropositif, le risque de propagation du virus, en ces temps de célébrations, est énorme. Les autorités sud-africaines, qui se mobilisent comme jamais auparavant pour lutter contre la maladie, font tout pour éviter un désastre. Car la société est déjà fortement éprouvée: 150 000 orphelins du sida doivent se débrouiller seuls après la mort de leurs parents. Notre envoyée spéciale raconte leurs souffrances.

Lerato Olga avait 15 ans quand ses parents sont tombés malades, en 2006. Son père est mort en premier; sa mère, six mois plus tard. Tous deux emportés par le sida. Ils n'ont laissé à leur fille qu'un taudis... et deux petits frères à élever.

 

L'adolescente n'a guère eu le temps de s'apitoyer sur son sort. Elle était désormais responsable de la famille. Elle devait cuisiner, faire le ménage et la lessive. Surtout, elle devait trouver chaque jour de quoi nourrir ses frères.

Souvent, elle y parvient. Mais pas toujours.

En Afrique du Sud, environ 150 000 enfants sont élevés par leurs frères et soeurs, souvent à peine plus âgés qu'eux, après la mort de leurs parents. La plupart sont des orphelins du sida, dans ce pays où le virus fait toujours des ravages.

Seuls au monde, ces enfants vivent la misère. Pour survivre, ils doivent compter sur la générosité de leurs voisins.

«Quand les parents meurent, la plupart du temps, les enfants sont pris en charge par des membres de la famille élargie», dit Philemon Tjeba, responsable de l'organisme charitable Inkanyezi. «Mais certains enfants n'ont personne. Parmi eux, plusieurs n'ont même pas accès à la prestation pour enfant (environ 30$ par mois) puisqu'ils n'ont pas de certificat de naissance. Leurs parents étaient des immigrés illégaux.»

Lerato Olga habite le bidonville de Thulamtwana, au sud de Johannesburg. En cet hiver austral, un vent glacé s'engouffre par les interstices de sa frêle cabane de tôle. Sans électricité, elle n'a rien pour chauffer la pièce sombre et froide.

Pour toute décoration, elle a accroché au mur des photos de ses parents. Quand ils sont morts, son plus jeune frère, Tshepiso, n'était encore qu'un bébé.

«Il était trop jeune pour se souvenir d'eux, raconte la jeune fille. Aujourd'hui, il a 4 ans, et il m'appelle maman.»

L'Afrique du Sud compte 5,7 millions de séropositifs - plus que partout ailleurs sur la planète. Pourtant, le gouvernement a longtemps refusé de faire face à l'épidémie. Il y a 10 ans, l'ancien président Thabo Mbeki avait provoqué la fureur de l'ONUSIDA en mettant en doute les causes de la maladie. Sa ministre de la Santé, Manto Tshabalala-Msimang, avait même fait la promotion de la betterave comme traitement, de préférence aux antirétroviraux.

Les choses ont changé. En avril, l'ONUSIDA a lancé une campagne de dépistage sans précédent, en présence du président Jacob Zuma. L'objectif est de convaincre 15 millions de Sud-Africains de se soumettre à un test de dépistage au cours de la prochaine année. «C'est la plus grande mobilisation nationale autour d'une cause depuis l'apartheid», a déclaré Michel Sidibé, directeur général de l'ONUSIDA.

Si l'organisme atteint son objectif, des millions de vies seront sauvées. Non seulement parce que les porteurs du virus seront traités, mais aussi parce que ceux qui reçoivent des antirétroviraux sont moins contagieux.

L'ONUSIDA pourrait bien gagner son pari - grâce au soutien du gouvernement sud-africain. Pretoria, qui consacrera cette année la somme record de 1 milliard de dollars à la lutte contre le sida, s'est engagé à ce que 80% des malades aient accès aux antirétroviraux d'ici à 2011. Pour y arriver, il multipliera par 10 la distribution de médicaments.

Tout cela, évidemment, ne rendra pas ses parents à Luvuwi Ngubo. Le garçon de Thulamtwana avait 13 ans quand ses deux frères et lui sont devenus orphelins. «Quand ma mère est morte, j'ai demandé de l'aide à mon instituteur. Il m'a répondu que, désormais, c'était moi qui devais prendre soin de ma famille.»

C'est ce que Luvuwi a fait. Le sida lui a volé ses parents et son enfance. À 13 ans, il changeait des couches. Aujourd'hui, c'est lui qui prépare le souper, en revenant de l'école, pendant que ses petits frères jouent dans les rues poussiéreuses du bidonville. «Mais parfois, il n'y a pas de nourriture.»

Le soir, Luvuwi aide ses frères à faire leurs devoirs. Et après les avoir mis au lit, ventre vide ou pas, il fait les siens.

 

 

 

Le sida en Afrique du Sud

Porteurs du virus: 5,7 millions

Orphelins du sida: 1,4 million

Orphelins du sida sont élevés par leurs frères ou leurs soeurs: 150 000

Nouvelles infections, par jour: 1400

Morts du sida, par jour: 1000