Abdou, blogueur sénégalais, a un regard perçant. S'il parle librement, il évite le regard de son interlocuteur. La famille de cet homosexuel de Dakar, capitale du pays, prétend que sa timidité l'empêche de trouver une femme à épouser.

Jusqu'ici, Abdou doit faire face aux «pressions gentilles» de sa famille musulmane qui voudrait qu'il se marie. «Je suis sûr qu'ils savent, mais on se conforte avec des explications comme: «Il est timide.»» Malgré tout, grâce à un bon salaire, il s'est créé une zone de liberté. «Je vis seul. Si j'étais un jeune vivant avec toute ma famille dans 20 m2, ce serait beaucoup plus difficile. Mais c'est impossible pour moi de vivre avec un mec.»

Au Sénégal, l'homosexualité est un crime. En 2008, un faux mariage gai a entraîné une chasse à l'homme menée par les médias et une surenchère de commentaires violents de la part des imams. La même année, neuf personnes qui militaient pour la prévention du sida ont été arrêtées.

«Un climat de peur a été institué. Les homosexuels peuvent se faire attaquer à tout moment. Ce qui est arrivé au Sénégal peut arriver ailleurs», expose Dipika Nath, chercheur sur les questions lesbiennes, gaies, bisexuelles et transsexuelles (LGBT) pour l'Afrique à Human Rights Watch (HRW). Le Malawi et la Gambie ont connu des épisodes similaires.

Koffi, 35 ans, habite quant à lui Abidjan, en Côte d'Ivoire, un des rares pays africains où l'homosexualité est légale. Il nous donne rendez-vous dans un bar où se rencontrent les gais de la métropole. À l'entrée, pas de drapeaux arc-en-ciel. L'endroit est discret. «Je suis relativement out, mais ma mère n'est pas au courant!» lance-t-il en riant. En fait, peu de gens savent qu'il est gai.

«Malheureusement, depuis quelques années, les gens sont de moins en moins tolérants», confie ce professionnel du marketing. «Avant, ça se passait, mais personne n'en parlait. Maintenant, les homosexuels sont devenus une obsession chez certains extrémistes.»

Homophobie grandissante

Partout en Afrique, les arrestations et les violences homophobes augmentent. La semaine dernière seulement, 19 présumés homosexuels ont été condamnés à 30 coups de fouet au Soudan et 20 étudiantes mineures ont été arrêtées au Zimbabwe pour «pratiques lesbiennes». Même l'Afrique du Sud, qui a pourtant reconnu le mariage gai en 2006, n'y échappe pas. «Il y a une impunité totale. Personne ne condamne l'homophobie», souligne Dipika Nath, de HRW.

Certains politiciens en ont même fait une vendetta. En Gambie, le président Yahya Jammeh a promis de couper la tête à tout homosexuel. Au Zimbabwe, le président Robert Mugabe a qualifié les gais de «pires que les chiens et les cochons».

La montée de l'intolérance est notamment stimulée par les missionnaires chrétiens ou musulmans étrangers. «Les leaders religieux entretiennent le débat, mais les véritables obstacles sont communautaires», soutient Mac-Darling Cobbinah, directeur d'un programme sur la santé des homosexuels au Ghana, un des rares de la région.

Ne serait-ce que par soupçon d'homosexualité, les jeunes gais africains doivent vivre avec la violence et le rejet de toute leur communauté. Les lynchages sont fréquents. «Ce serait la honte pour ma famille si ça se savait», explique Abdou à La Presse.

À long terme, il envisage deux solutions: partir ou continuer de se cacher.

L'internet pour rompre l'isolement

Les plus grandes métropoles du continent, comme Abidjan ou Nairobi, rendent la vie plus facile aux gais. «On se rencontre dans des activités organisées par les associations. J'ai rencontré ma copine à l'église», raconte Erika, lesbienne kényane qui habite Nairobi, dans une entrevue téléphonique.

Au Kenya, ces associations sont très actives. Les militants de la Gay and Lesbian Coalition luttent à visage découvert. Des chapitres de l'Église anglicane militent ouvertement pour les droits des minorités sexuelles. Ce militantisme est absent de la plupart des pays africains, puisqu'il est réprimé par les autorités.

Mais cette liberté est réservée aux grandes villes. «Il y a beaucoup de stigmatisation dès qu'on sort de la capitale. À Nairobi, on peut s'habiller comme on veut, mais à l'extérieur, si on s'habille trop masculin, les gens nous montrent du doigt», indique Erika. Au Kenya, les relations sexuelles entre hommes sont illégales et les frappes policières régulières.

Les nouvelles technologies offrent un autre espace de liberté. Abdou juge que l'internet a permis aux gais de Dakar de se rencontrer, chose impossible avant. «L'internet a permis une vie gaie normale.» Mac-Darling Cobbinah y voit un moyen de lutter contre le VIH. «Plusieurs jeunes trouvent sur l'internet des réponses à des questions qu'ils n'oseraient pas poser.»

Partager, s'informer, mais aussi s'organiser. Lydia, une Kényane, reçoit fréquemment par courriel la liste des activités lesbiennes de Nairobi. «Ça permet de rompre l'isolement et d'encourager les jeunes à participer. On sait que nous ne sommes pas seules.»

Mais pour avoir accès à ces espaces de liberté, il faut savoir lire et avoir de l'argent. «La pauvreté et l'illettrisme condamnent les homosexuels à l'isolement», souligne Cobbinah.

Mais où sont les lesbiennes?

Les lesbiennes font rarement parler d'elles en Afrique. «Nous sommes beaucoup moins menaçantes pour les conservateurs que les hommes. Et nous sommes par naissance des citoyennes de deuxième classe», croit la Kényane Lydia. Marginalisées et moins éduquées, les femmes dirigent peu de ressources en Afrique. «Être lesbienne, c'est une double discrimination», soutient sa compatriote Erika. «Les lesbiennes vivent aussi beaucoup de répression, mais ça se fait surtout dans la sphère privée, que ce soit par le viol ou les mariages forcés. Cette violence est invisible», explique Dipika Nath, de HRW.