Marqué au fer rouge par deux décennies de guerre civile, le plus grand pays d'Afrique, le Soudan, pourrait se scinder en deux. Dès demain, les Sud-Soudanais décideront s'ils veulent leur propre pays au cours d'un référendum dont l'issue fait peu de doute. Le vote, attendu dans la joie, pourrait pourtant ouvrir des boîtes de Pandore plus inquiétantes les unes que les autres.

Originaire du Sud-Soudan, Morris Battali était au Canada à la veille du référendum québécois de 1995, quand des milliers de Canadiens anglais ont débarqué à Montréal pour le grand love in. Ce souvenir, note-t-il aujourd'hui, explique en partie pourquoi il votera pour la sécession du Sud-Soudan demain.

«Au Sud-Soudan, on attend encore que les Soudanais du Nord nous disent qu'ils nous aiment», ironise aujourd'hui celui qui travaille au bureau de liaison du gouvernement sud-soudanais à Ottawa.

Ce petit bureau pourrait bientôt se transformer en ambassade si les quelque 3,5 millions de Sud-Soudanais aptes à voter au référendum qui débutera demain décident de se séparer du Nord-Soudan. Du coup, ils couperaient en deux le plus grand pays d'Afrique.

Les résultats du référendum, qui se terminera le 15 janvier, sont déjà écrits dans le ciel. Dans les quelques sondages qui ont été réalisés, plus de 90% des répondants sont pour la sécession. À Juba, le chef-lieu du Sud-Soudan actuel, on brandit déjà le drapeau de l'État à naître et on entonne un tout nouvel hymne national. «Que Dieu bénisse le Sud-Soudan», chantent les manifestants. Si le camp du non existe, il se fait plus que discret.

Une histoire douloureuse

L'histoire récente du Soudan en dit long sur le mur qui existe déjà entre les «deux solitudes» que sont le Nord et le Sud. Déjà, sous l'ère coloniale, l'administration anglo-égyptienne avait divisé le pays en deux, empêchant les Soudanais du Nord, musulmans pour la plupart, de s'aventurer dans le Sud, chrétien et animiste.

Après l'indépendance du Soudan, le pays a été réunifié, mais rapidement la domination du Nord a causé une rébellion dans le Sud et mené au premier épisode de guerre civile.

Après une décennie d'accalmie, liée à l'autonomie conférée au Sud-Soudan en 1972, la guerre a repris de plus belle dans les années 80, lorsque le gouvernement de Khartoum a tenté d'islamiser le pays. Près de 2,5 millions de morts plus tard, le président Omar El-Béchir et John Garang, chef du Mouvement populaire pour la libération du Soudan (MPLS), ont fini par conclure un accord de paix global en 2005.

Cet accord, qui prévoyait un partage du pouvoir entre le Nord et le Sud ainsi que des élections, qui ont eu lieu l'été dernier, rendait obligatoire la tenue d'un référendum sur le sort du Sud du pays.

Une identité commune

Dans les prochains jours, lorsqu'ils choisiront l'un des deux symboles imprimés sur le bulletin de vote - deux mains liées pour l'unité ou une main seule pour la séparation - les Sud-Soudanais n'auront pas seulement leur triste passé en tête, mais aussi des rêves d'avenir.

C'est du moins l'opinion de Gordon Buoy, ancien enfant-soldat qui a combattu pour le MPLS avant de se réfugier au Canada en 1999. Après l'accord de paix, il est retourné dans son pays, où il a fondé un parti séparatiste, mais il est depuis revenu à Ottawa, où il poursuit des études de droit, tout en exposant souvent ses opinions politiques dans des médias du Sud-Soudan et de nombreux sites web de discussion. Il note que les Sud-Soudanais, issus de 46 groupes ethniques, ont acquis une identité commune malgré leurs différences. «Le Sud se définit comme africain et chrétien. Et ces facteurs continueront de nous unir», croit-il. S'il voit le jour, l'État sud-soudanais aura les yeux tournés vers l'Occident et vers l'Afrique de l'Est plutôt que vers le monde arabe, ajoute-t-il. «Si notre nouvel État devient laïque et moderne, beaucoup de gens du Nord voudront revenir vers le Sud», croit-il. Les femmes, à qui 30% des postes de la fonction publique sont réservés, y seront dans une meilleure position, à son avis.

Sous-développement extrême

M. Buoy sait cependant qu'il y a loin de la coupe aux lèvres. Pour devenir un État viable, le Sud aura d'abord à parcourir un long chemin semé d'embûches.

Premièrement, le Sud-Soudan est actuellement d'une pauvreté extrême. Même s'il possède la majeure partie des ressources pétrolières soudanaises, l'État potentiel est pour le moment incapable d'exploiter lui-même ses ressources. Le principal oléoduc passe par le Nord-Soudan, où se trouvent les raffineries.

Côté infrastructures, les choses ne sont pas plus roses. Pour une population de 8 millions de personnes, on n'y trouve que 4 km de routes asphaltées. Au chapitre de l'éducation, c'est la catastrophe. Selon de récentes statistiques, moins de 5% des enfants terminent l'école primaire, et le taux d'analphabétisme des femmes frôle 100%.

Vers un nouveau conflit civil?

La possibilité d'un conflit civil entre divers groupes sud-soudanais ne peut être écartée. L'une des tribus, les Dinkas, en mène large pour le moment dans l'actuel gouvernement sud-soudanais et pourrait vite être la cible d'une mutinerie d'autres tribus laissées pour compte.

Et que dire de la réaction du Nord à la sécession du Sud? À cet égard, tout est loin d'être réglé, même si le président Omar El-Béchir a promis de reconnaître les résultats du référendum. Beaucoup de questions restent en suspens, dont le sort de la ville d'Abyei, à cheval sur la frontière du Nord et du Sud.

«Déjà, des politiciens du Nord disent que les Sud-Soudanais qui vivent dans le Nord en ce moment devront partir si la sécession a lieu. Que se passera-t-il si des centaines de milliers de personnes sont obligées de rentrer du jour au lendemain sans que le Sud-Soudan soit prêt à les recevoir?» demande Jehanne Henry, envoyée au Sud-Soudan par l'organisation Human Rights Watch pour observer la situation des droits de la personne pendant ce vote historique. Le référendum, note-t-elle, répondra peut-être à une question, mais il fera naître beaucoup de nouveaux points d'interrogation.

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Soudan: un ou deux pays?

Le plus grand pays d'Afrique est-il sur le point de se scinder en deux? Dès demain, 3,9 millions de personnes sont appelées à décider si le Sud-Soudan se séparera du Nord.

Les deux régions sont déjà très différentes. Le Nord, désertique, est surtout musulman et contrôlé par la population arabe. Près de 60% de l'actuelle population du Soudan (44 millions) vit dans le Nord.

Le sud du pays, couvert de forêts et de marécages, est composé de dizaines de tribus africaines parlant quelque 400 langues et dialectes. Une majorité des 8 millions d'habitants sont chrétiens ou animistes.

Le Sud, beaucoup plus pauvre, détient pourtant la majorité des puits de pétrole du pays.