Des manifestants et les forces de l'ordre se sont violemment affrontés mercredi pour la première fois dans le centre de Tunis et trois civils ont été tués en province, lors d'un mouvement de contestation du régime qui a déjà fait des dizaines de morts depuis un mois en Tunisie.

Un couvre-feu nocturne dans la capitale et sa banlieue est d'ailleurs en vigueur depuis mercredi soir à la suite de troubles dans «certains quartiers» de la capitale, où l'armée est déployée.

Le gouvernement du président Zine El Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans, a pourtant tenté de calmer le jeu, avec le limogeage du ministre de l'Intérieur et la libération de toutes les personnes arrêtées, à «l'exception de ceux qui sont impliqués dans des actes de vandalisme».

Mais mercredi en début d'après-midi, la police a eu recours aux gaz lacrymogènes pour disperser la foule dans la capitale, a constaté une journaliste de l'AFP.

Des centaines de jeunes criant des slogans contre le régime sur la place de la porte de France ont essayé d'avancer vers l'avenue Habib Bourguiba, et les forces de sécurité leur ont barré la route en tirant des grenades lacrymogènes.

Aucun bilan de ces affrontements, les plus graves à se produire dans Tunis depuis le début des émeutes en Tunisie au mois de décembre, n'était immédiatement disponible.

Des passants pris de panique, les yeux larmoyants ont été repoussés par la police dans les ruelles. Les souks se sont vidés et les commerces, y compris une grande surface, ont baissé leurs rideaux.

«Fermez, fermez, ils ont tout cassé», criaient des passants à l'adresse des vendeurs ambulants à l'entrée des souks.

L'armée avait été déployée pour la première fois dans Tunis et une banlieue populaire, au lendemain des premiers affrontements mardi soir aux abords de la capitale en près d'un mois de crise.

Ces violences qui ont fait en un mois entre 21 morts (bilan officiel) et plus de 50 tués (source syndicale) se sont également poursuivies mercredi ailleurs au pays.

Deux civils ont été tués par des tirs de la police à Douz, dans le sud tunisien, lors d'une manifestation ayant dégénéré, a indiqué un témoin à l'AFP. C'est la première fois depuis le début des émeutes que cette ville de 30 000 habitants, située à 550 km au sud de Tunis, connaît de telles violences.

À Thala, au centre-ouest du pays, un manifestant a été tué par balle et deux ont été blessés par les forces de sécurité mercredi soir, selon un syndicaliste.

À Sfax, métropole économique à 300 km au sud de Tunis, cinq manifestants ont été blessés par des tirs de la police dans cette ville, où une «grève générale» était observée, selon une source syndicale.

Sur le plan politique, le limogeage du ministre de l'Intérieur Rafik Belhaj Kacem a été annoncé par le premier ministre Mohamed Ghannouchi au cours d'une conférence de presse. Il est remplacé par un universitaire, ancien membre du gouvernement, Ahmed Friaâ.

Le premier ministre a également annoncé la formation d'une commission d'enquête sur la corruption, un fléau que dénoncent opposition et ONG.

Mais le limogeage du ministre de l'Intérieur a très vite été jugé «insuffisant» par une formation de l'opposition, le Parti démocratique progressiste (PDP) qui a renouvelé son appel à des «réformes profondes» et à un gouvernement de salut national.

Le chef du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT, interdit), Hamma Hammami, a par ailleurs été interpellé mercredi à son domicile, près de Tunis, a annoncé à l'AFP son épouse Radia Nasraoui. Il s'agit du premier dirigeant politique à être interpellé depuis le début des émeutes.

Les violences en Tunisie suscitaient toujours mercredi de vives inquiétudes au sein de la communauté internationale.

La Haut commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Navy Pillay, a appelé le gouvernement tunisien à mener des enquêtes «indépendantes crédibles», à la suite des informations sur un «usage excessif» de la force par les services de sécurité.

La porte-parole de la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton a de son côté condamné l'usage «disproportionné» de la force par la police en Tunisie.

Les États-Unis et le Canada ont appelé à la retenue. Le porte-parole du Parti socialiste (PS) français, Benoît Hamon, a estimé mercredi que le président tunisien Ben Ali était «acculé».

Le maire (socialiste) de Paris, Bertrand Delanoë, né à Tunis, a rejeté toute idée de complaisance envers le régime en Tunisie, se disant être «au côté du peuple tunisien».

Et entre 700 et 1000 personnes, selon la police et les organisateurs, ont défilé mercredi à Marseille, au sud de la France, aux cris de «Ben Ali assassin», en solidarité au mouvement de contestation du régime en Tunisie.