Le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, sous forte pression de la rue, a indiqué hier soir lors d'une allocution télévisée qu'il quitterait le pouvoir à l'expiration de son mandat, dans trois ans.

«Pas de présidence à vie. Je réitère mes remerciements à tous ceux qui m'avaient exhorté à me porter candidat en 2014, mais je me refuse à remettre en question la condition d'âge pour l'éligibilité à la présidence de la République», a indiqué le chef d'État de 74 ans en parlant de la limite existante de 75 ans.

Un mois après le début de manifestations mouvementées qui s'étaient graduellement étendues jusqu'à Tunis, il a également précisé qu'il avait demandé aux forces de sécurité de ne plus tirer à balles réelles sur les manifestants.

«Ma tristesse est grande, très grande, et profonde, très profonde. Assez donc de violence! Assez de violence!», a déclaré le président, qui règne sur le pays d'une main de fer depuis 23 ans.

M. Ben Ali a ajouté qu'il allait ordonner une baisse du prix des denrées de base et promis du même souffle la fin de la censure et la liberté d'information.

Larmes de joie

«Je vous réaffirme, tout à fait clairement, que je vais travailler à renforcer la démocratie et à promouvoir le pluralisme. Oui, renforcer la démocratie et promouvoir le pluralisme», a indiqué l'homme fort tunisien, qui tenait son troisième discours depuis le début des violences.

Les manifestations ont débuté en décembre à Sidi Bouzid dans une zone économique défavorisée du centre du pays à la suite du suicide d'un jeune diplômé désaffecté et ont progressivement gagné toute les régions du pays, incluant la capitale, toujours sous couvre-feu hier.

Malgré la méfiance qui règne envers le régime, nombre de Tunisiens ont accueilli avec joie les concessions du président.

C'est le cas notamment d'une jeune femme de 28 ans qui alimente depuis plusieurs années les débats sur les réseaux sociaux, à ses risques et périls, pour favoriser l'ouverture démocratique du pays.

«La censure est levée et Ben Ali plie. C'est le résultat du travail de tellement de gens, d'avocats, de journalistes qui ont été battus, emprisonnés, de gens qui sont morts aussi, qui ont été torturés», a indiqué Liliopatra, qui a préféré conserver son nom virtuel lors d'une entrevue accordée à La Presse de son bureau de Tunis peu de temps après le discours présidentiel.

La militante, ancienne enseignante de français passée graduellement au journalisme, a indiqué qu'elle était extrêmement émue d'assister à la levée de la censure. «J'ai pleuré, j'ai carrément pleuré», a-t-elle indiqué.

Une foule d'internautes ont laissé des messages sur Twitter ou Facebook pour s'extasier du fait que des sites censurés depuis des années comme Youtube ou Dailymotion, mais aussi des sites de dissidents hier encore interdits, sont soudainement devenus accessibles peu après le discours du président.



Liberté arrachée

«Nous l'avons arrachée, cette liberté, elle ne nous a pas été donnée. Nous l'avons prise avec des âmes», a relaté la jeune femme, qui n'en revient pas du chemin parcouru depuis ses débuts de militante. «Ma génération était dans un coma de désinformation tant elle était lessivée par la propagande. Nous étions dépourvues d'oxygène», souligne la jeune femme, qui doute de la capacité du président à finir son mandat si journalistes et juges sont autorisés à faire correctement leur travail, notamment sur les questions de corruption.

«Juges, avocats, juristes, à vous de faire votre travail, à vous la liberté d'expression. Que les dossiers s'ouvrent, que justice soit faite. Mission accomplie. Paix aux morts de la révolution de jasmin», s'est empressée d'écrire Liliopatra sur sa page Facebook.

«Ben Ali a tout simplement sauvé sa vie, il n'avait pas le choix de faire ces concessions. Il était en danger et il le demeure encore», prévient-elle de manière plus prosaïque.

Plusieurs internautes tunisiens se montraient sceptiques et pressaient leurs compatriotes de ne pas se faire berner par le président. «Zaba dégage!», a résumé l'un d'eux sur Twitter en reprenant l'acronyme utilisé pour désigner le président.

La pression se faisait croissante dans le pays et avait mené à de violents affrontements au cours des derniers jours dans la capitale, où une grève générale est prévue pour aujourd'hui. Plus de 60 personnes ont trouvé la mort depuis le début du mouvement, selon la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme.

La France dans l'embarras

La pression internationale ne cessait aussi d'aller croissant. La France, par l'entremise de son premier ministre François Fillon, a finalement joint sa voix aux critiques des États-Unis et de l'Union européenne durant la journée d'hier en s'alarmant de «l'usage disproportionnée de la force» dans le pays.

Le gouvernement français s'était fait fortement critiquer au cours des jours précédents par l'opposition en raison de son discours timoré envers le régime tunisien, soutenu de longue date par Paris.

Karim Pakzad, de l'Institut des relations internationales et stratégiques, pense que l'embarras de la France dans ce dossier s'explique d'abord par des considérations géopolitiques.

Le pays, a-t-il indiqué en entrevue, craint l'impact d'une éventuelle déstabilisation du Maghreb qui pourrait se traduire par un afflux d'immigrés ou une montée de tension chez les ressortissants déjà installés sur le territoire hexagonal. Les dirigeants français redoutent aussi une percée de l'islamisme dans la région en cas de changement de gouvernement.

«Devant l'inconnu, la France préfère traiter avec le régime en place», déclare M. Pakzad, qui insiste sur l'importance des liens existants entre les deux pays «dans tous les domaines».

Cette communauté d'intérêts a amené les dirigeants français par le passé à taire l'autoritarisme du régime en place, voire même à le louanger. Une position aujourd'hui devenue «intenable» au dire du spécialiste.

Le présidnt tunisien, à la tête du pays depuis 23 ans, Zine El Abdine Ben Ali.