Le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali a quitté hier soir le pays, cédant à la pression de la rue après des semaines de manifestations.

Le premier ministre Mohammed Gannouchi a annoncé en fin d'après-midi dans une déclaration filmée au palais de Carthage qu'il «assumait» l'intérim du pouvoir parce que le chef d'État n'était «temporairement pas en mesure d'exercer ses fonctions».

M. Gannouchi a appelé à cette occasion les Tunisiens de «toutes sensibilités politiques et régionales confondues» à faire preuve de «patriotisme et d'unité». Il a promis de respecter la Constitution et de mettre en oeuvre les réformes sociales promises au cours des dernières semaines.

Son intervention a été diffusée alors que l'internet bruissait de rumeurs annonçant la fuite en avion de Ben Ali, qui a finalement atterri en Arabie saoudite avec sa famille, selon un communiqué du palais royal cité par l'agence officielle saoudienne SPA.

Bien qu'il n'ait pas présenté formellement sa démission, le départ de l'ancien homme fort du pays, au pouvoir depuis 23 ans, avait toutes les apparences d'une reddition.

La veille, le président avait fait savoir, dans l'espoir d'étouffer la contestation, qu'il ne se représenterait pas en 2014. Dès jeudi soir, plusieurs internautes ont appelé leurs compatriotes à maintenir la pression afin d'obtenir son départ immédiat.

Des milliers de personnes se sont réunies hier en milieu de journée au coeur de Tunis avant de converger vers le ministère de l'Intérieur, vu comme le symbole du régime répressif qui a si longtemps marqué le pays.

Mohammed, un professeur de la capitale qui était présent, a indiqué à La Presse que la manifestation s'est d'abord déroulée dans un climat serein. Des jeunes agitaient le drapeau tunisien, chantant l'hymne national. Des participants portaient des affiches traitant le président d'«assassin» ou de «voleur», du jamais vu sous le règne de Ben Ali.

«Tout se passait bien jusqu'à ce que les policiers reçoivent l'ordre de disperser la foule vers 13h30. Ça a frappé très dur», a relaté l'homme de 32 ans, qui avait encore la voix affectée par les gaz lacrymogènes lors de l'entretien.

Les affrontements musclés ont replongé le centre-ville dans le chaos tandis que des scènes de pillage étaient signalées dans plusieurs villes. Les biens immobiliers de la famille de la femme du président, Leïla Trabelsi, honnie par nombre de Tunisiens, ont été ciblés à plusieurs endroits.

C'est dans ce climat délétère que le régime a annoncé en fin d'après-midi la dissolution du gouvernement en place et la tenue d'ici six mois d'élections législatives.

L'imposition de l'état d'urgence - assortie d'un couvre-feu et d'une interdiction de se rassembler en public - est survenue peu de temps après. L'armée, dont le rôle alimentait hier les spéculations, s'est déployée autour de l'aéroport et le trafic aérien a été interrompu alors que des centaines de touristes tentaient de quitter le pays.

«Ben Ali n'avait plus rien d'autre à offrir que sa tête», souligne Mohamed, qui ne s'attend pas à ce que la prise du pouvoir présidentiel par l'ancien premier ministre mette fin aux manifestations.

«Les gens vont continuer à protester. Il y a trop de haine, trop de colère envers le pouvoir», a-t-il noté en relevant que Mohammed Gannouchi est vu comme un proche collaborateur de Ben Ali.

Les partis de l'opposition et les associations civiles avaient réclamé en fin d'après-midi dans une déclaration lue à Paris le départ du président et «l'instauration d'un gouvernement provisoire chargé dans les six mois d'organiser des élections libres».

La France, alliée de longue date du régime, a fait savoir en soirée dans un communiqué émanant de l'Élysée qu'elle «prenait acte» de la transition constitutionnelle et «se tenait aux côtés du peuple tunisien dans cette période décisive».

La lenteur du pays à condamner la répression musclée des manifestations avait suscité une vive polémique dans l'Hexagone. Selon les organisations de défense des droits de la personne, les violences des dernières semaines ont fait plus d'une soixantaine de morts.