Au moins vingt personnes ont été tuées et des centaines blessées vendredi en Égypte au cours d'affrontements entre manifestants et forces de l'ordre alors que le président Hosni Moubarak a fait appel à l'armée et décrété le couvre-feu dans trois grandes villes du pays.

Le président de l'Assemblée du peuple, Fathi Srour, a déclaré qu'une «importante annonce» serait faite incessamment, a indiqué vers 20h30 heure GMT (15h30, heure de Montréal) la télévision égyptienne.

Au quatrième jour du mouvement de protestation le plus important depuis l'arrivée au pouvoir de M. Moubarak en 1981, les signes d'inquiétude se multipliaient à l'étranger, les États-Unis réclamant à leur allié de réfréner ses forces de l'ordre et d'engager des réformes politiques «immédiates».

M. Moubarak, dont des centaines de milliers de manifestants ont réclamé le départ vendredi à travers tout le pays, a demandé à l'armée, épine dorsale de son régime, de faire respecter la sécurité avec la police qui a semblé débordée par la mobilisation populaire sans précédent.

Les 20 morts de vendredi portent à 27 le nombre de personnes tuées depuis mardi dans tout le pays.

Le couvre-feu a été décrété au Caire, à Alexandrie et à Suez entre 17h00 et 06h00, et ce jusqu'à nouvel ordre.

En soirée, des soldats faisaient le «V» de la victoire à l'attention des milliers de manifestants ayant bravé le couvre-feu dans la capitale et des policiers serraient la main de manifestants, selon un journaliste de l'AFP.

Toujours au Caire, un peu plus tôt, les manifestants ont mis le feu au siège du Parti national démocrate (PND), au pouvoir. Dans la journée, ils avaient incendié deux commissariats de la capitale.

Dans la matinée, dès la fin des prières musulmanes, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour ce «vendredi de la colère», à l'appel du Mouvement du 6 avril, un groupe de jeunes pro-démocratie qui s'est inspiré de la «révolution du jasmin» ayant chassé le président Zine El Abidine Ben Ali de Tunisie.

Aux cris de'«À bas Hosni Moubarak» et «le peuple veut la chute du régime», les manifestations se sont étendues à tout Le Caire, une métropole de 20 millions d'habitants, et ont gagné les principales villes du pays.

Les policiers ont eu recours à des grenades de gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des canons à eau pour disperser les manifestants. Cinq personnes ont été tuées et des centaines d'autres blessées, selon des sources médicales.

L'opposant le plus en vue, Mohamed ElBaradei, l'ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui s'est dit prêt à mener une transition au pouvoir après un éventuel départ de M. Moubarak, et les Frères musulmans (opposition), ont participé aux manifestations.

«Liberté!», ont scandé les manifestants sous les regards de policiers déployés avec boucliers et casques à visière, près de la célèbre mosquée Al-Azhar, au Caire.

À Suez, treize personnes ont trouvé la mort dans des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, et à Mansoura deux autres ont péri dans les mêmes circonstances, selon des témoins.

À Alexandrie, deuxième ville d'Égypte, la police a tiré des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc pour disperser des milliers de manifestants qui ont incendié le siège du gouvernorat.

À Mansoura, certains imams ont appelé à «sortir et demander le changement». Des affiches du parti au pouvoir ont été arrachées.

M. Moubarak, 82 ans, qui s'est appuyé pendant près de 30 ans sur un redoutable appareil policier et un système dominé par un parti qui lui est entièrement dévoué, s'est illustré par son silence depuis le début de la contestation, et a fait connaître sa décision d'instaurer le couvre-feu par la télévision d'État.

Le Pentagone a indiqué que le chef d'état-major égyptien, Sami Anan, qui conduisait une délégation militaire pour des entretiens à Washington prévus jusqu'à mercredi, regagnait l'Égypte.

La Maison-Blanche s'est dite «très préoccupée» et a appelé Le Caire à respecter les droits des Égyptiens.

La chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton, a invité M. Moubarak à «faire tout ce qui est en son pouvoir pour réfréner les forces de l'ordre» et a réclamé des réformes «immédiates». Le Pentagone a lui appelé l'armée à faire preuve de «retenue».

Un responsable américain a averti que les États-Unis pourraient revoir leur aide, notamment militaire, en fonction de la réponse des autorités aux manifestations.

La diplomate en chef de l'Union européenne, Catherine Ashton, a appelé à la libération «immédiate et sans condition» des manifestants arrêtés.

Londres a appelé à des «réformes» alors que Berlin demandait à M. Moubarak d'autoriser les «manifestations pacifiques». Paris a appelé à «la retenue» et «au dialogue» et Rome a réclamé la «fin immédiate de tout type de violence».

Mme Clinton a en outre appelé le gouvernement égyptien à mettre fin au blocage «sans précédent» des communications dans le pays.

L'internet et les services de téléphonie mobile, qui ont joué un rôle-clé dans la mobilisation populaire, étaient en effet coupés dans le pays. Une première par son ampleur pour l'internet, selon des experts.