L'Afrique de l'Est a soif. Et faim. Encore. Une seconde sécheresse frappe la région en moins de cinq ans. Et parce que la région n'a pas pu se remettre de celle qui a sévi entre 2007 et 2009, l'ONU estime que la sécheresse actuelle est la pire à se produire en Afrique de l'Est depuis 60 ans. Au moins 10 millions de personnes sont menacées, les camps de réfugiés débordent et les ONG lancent un appel à l'aide.

Les camps de réfugiés près du village kényan de Dadaab, dans l'ouest du pays, font partie du paysage depuis plus de 20 ans. Mais depuis le début de l'année, le rythme d'arrivée des réfugiés s'est intensifié. De 1500 réfugiés par semaine, il vient de passer dans le dernier mois à 1500... par jour.

«Les gens arrivent parfois au bout de 20 jours de marche», raconte, au bout du fil, la coordonnatrice des mesures d'urgence de Care Canada, Caroline Saint-Mleux, sur place à Dadaab. «Beaucoup souffrent d'un état de malnutrition assez avancé.»

Ils arrivent surtout de la Somalie voisine, ravagée depuis 20 ans par un conflit dont personne ne voit la fin - le gouvernement ne contrôle plus que la capitale Mogadiscio, le reste étant aux mains des milices islamiques Al-Shabbab, qui viennent tout juste de lever l'interdiction faite aux humanitaires étrangers d'apporter de l'aide à la population.

Mais plusieurs Somaliens ont déjà pris la route. Déjà épuisés par la guerre, ils sont maintenant chassés par la sécheresse qui sévit dans leur village. Depuis le début de l'année, il est tombé 30% moins de pluie que la normale dans la région. Les pâturages sont grillés, le bétail n'a plus rien à manger, les villageois non plus. Les prix de la nourriture ont explosé en Somalie.

Sécheresses récurrentes

Ils arrivent donc par petits groupes à Dadaab, dans l'un des trois camps de réfugiés destinés à l'origine à abriter 90 000 personnes qui fuyaient le conflit en Somalie. «Chacun des camps compte maintenant plus de 100 000 habitants, avec toutes les complications que ça peut avoir pour la gouvernance, la distribution d'eau, les déchets, le système scolaire», dit Mme Saint-Mleux. Le dernier décompte, en date de lundi, a recensé 377 000 pensionnaires. Les nouveaux arrivés s'installent désormais avec leurs bâches bleues à l'extérieur des limites du camp. «Mais il y a toujours des gens qui arrivent.»

De Nairobi, la capitale kényane, la porte-parole du Programme alimentaire mondial, Stéphanie Savariaud, dresse un portrait sombre de la situation. Des quatre pays touchés par la sécheresse, la Somalie vit la situation la plus critique en raison de la crise politique. Mais le Kenya et l'Éthiopie vivent actuellement une année qui est au deuxième rang des plus sèches depuis 1950, souligne-t-elle.

«On observe qu'il y avait, dans la région, d'importantes sécheresses tous les cinq ou sept ans. Mais là, on les vit tous les deux ou trois ans. Les gens peuvent à peine se remettre d'une sécheresse qu'une autre leur tombe dessus.»

En 2009, 22 millions de personnes ont été affectées par la sécheresse. En ce moment, 9 millions de personnes ont besoin d'aide humanitaire. «Mais il ne faut pas regarder ce chiffre-là, dit Mme Savariaud. Il faut tenir compte des autres facteurs comme le conflit en Somalie et la hausse des prix, qui fait que les gens sont vraiment affectés par la crise cette année.»

Le prix du maïs, selon les données diffusées par l'Agence américaine pour le développement international (USAID), a plus que doublé au Kenya depuis un an. «Des chiffres incroyables, commente Mme Savariaud. Les éleveurs doivent vendre plus de bétail pour survivre.»

Donateurs peu enthousiastes

Les taux de malnutrition atteignent aussi des niveaux alarmants. De 30-40% au Kenya, ils atteignent 45% chez les enfants de moins de 5 ans dans les camps en Éthiopie, dit Mme Savariaud. « Le seuil d'urgence est de 15%... Moi, j'ai rarement vu de tels taux, dit-elle. Quand 60 à 80% du budget est consacré à la nourriture et que les prix montent, le nombre ou la qualité des repas diminue.»

La Coalition humanitaire (Oxfam, Care Canada, Plan Canada, Aide à l'enfance) a lancé la semaine dernière une campagne pour amasser des fonds pour la crise alimentaire. Le dernier bilan de la collecte est de 75 000$, selon Care Canada. Stéphanie Savariaud a conscience que la crise suscite moins d'enthousiasme chez les donateurs. «Les pays sont beaucoup sollicités, ils ont eux-mêmes des récessions économiques. Il y a des priorités pour tout le monde, et ce n'est pas facile d'être sur tous les fronts, de donner pour un tremblement de terre, un tsunami, une sécheresse. Mais la priorité, c'est de sauver des vies.»