Des enfants bataillent dans l'eau émeraude de l'océan Indien sous le regard amusé de pêcheurs qui savourent paisiblement une cigarette, affalés sur le sable blanc...

La scène, qui semble tirée d'une carte postale, cadre mal avec les qualificatifs dantesques qui accompagnent généralement les descriptions de la capitale somalienne.

L'illusion ne dure qu'un temps puisqu'il suffit de se retourner et de contempler la longue lignée de bâtiments éventrés longeant la plage de Lido pour se souvenir des combats qui ont défiguré l'endroit.

Les shebabs ont longtemps tenu le secteur de la plage face aux assauts des troupes du gouvernement et des soldats de la force d'intervention africaine Amisom. Jusqu'à ce que les commandants des miliciens islamistes ordonnent en août leur repli en périphérie de la ville, donnant un souffle nouveau aux anciens résidants.

«C'est ici que nous sommés nés, que nos familles ont vécu, que nous voulons vivre», relève Dahir, jeune pêcheur qui a recommencé depuis peu à travailler à partir de la plage.

Même enthousiasme de Mohamed Ali Noor, autre pêcheur qui a renoué récemment avec l'endroit.

Délivrance

L'homme de 50 ans se dit ravi de ne plus vivre sous la coupe des shebabs, qui exerçaient, selon lui, une terrible pression sur la population.

Il relate avec dépit que les miliciens ont décapité un jour un homme devant sa maison avant de presser les résidants de venir contempler la dépouille. «Les enfants sortaient et voyaient cette horreur. Il était impossible de leur demander d'enlever le corps sous peine de représailles», souligne le Somalien.

Au marché voisin, où une foule de commerçants écoule fruits, légumes et babioles, le soulagement face au départ des islamistes semble aussi palpable. «Posez votre arme et prenez un stylo», souligne un graffiti bien en vue.

Ibrahim Hachim, qui vendait hier du thon frais dans un hall rempli d'un incroyable échantillon de poissons, est certain que les shebabs ne reprendront pas la ville. «C'est un rêve, ils ne pourront jamais revenir», assure l'homme de 27 ans.

«Tactique de guérilla»

Malgré le scepticisme affiché par la population, les miliciens islamistes sont loin de s'avouer vaincus. Samedi, un commando comprenant un kamikaze d'origine américaine a pris d'assaut un campement fortifié de l'Amisom à Mogadiscio, tuant plusieurs soldats.

Le chercheur français Roland Marchal, qui a longuement étudié les shebabs, pense que le mouvement a décidé de se retirer quasi complètement de la ville en août pour se concentrer sur une «tactique de guérilla».

Les islamistes étaient pris en étau et ne pouvaient plus faire face aux armes lourdes des forces africaines, souligne-t-il.

Les shebabs, qui continuent néanmoins de contrôler de vastes pans du sud et du centre du pays sont aussi sous forte pression du Kenya, qui a lancé une offensive militaire inédite en Somalie à la mi-octobre. Nairobi a évoqué l'enlèvement récent de quatre ressortissants occidentaux sur son territoire pour justifier l'opération, visiblement prévue de longue date.

Les précédentes incursions étrangères dans le pays ont souvent tourné court, comme le rappelle le film Black Hawk Down portant sur la déconvenue américaine. L'intervention éthiopienne de 2006 s'était aussi soldée par un échec après avoir galvanisé le soutien populaire aux shebabs.

Les Somaliens sont fiers de leur indépendance comme le rappelle, au centre de la capitale, un monument honorant un populaire général qui a mené plusieurs opérations militaires victorieuses contre les forces éthiopiennes au XVIe siècle.

Bien que la statue ait disparu du socle, apparemment enlevée par un seigneur de guerre avide, le sentiment de fierté demeure. Et il pourrait, en théorie, faire le jeu des islamistes.

Le ressentiment populaire à leur encontre est cependant si élevé aujourd'hui qu'il est difficile de trouver un résidant de la capitale hostile à l'offensive kenyane.

«Le combat des Kenyans est juste parce qu'ils se battent contre notre ennemi», résume Ali Ahmed Isak, qui cherchait hier à vendre une immense tortue pêchée le matin même.

«Dieu ne permettra pas aux shebabs de revenir», a déclaré le pêcheur de 42 ans en s'amusant des gestes désespérés de l'animal renversé au sol.

Photo: Tony Karumba, archives AFP

Un officier ougandais de la force d'intervention africaine montait la garde dans la capitale somalienne, au début du mois.