Les shebabs, qui contrôlent de larges pans de la Somalie, ont récemment abandonné la plupart de leurs positions dans la capitale somalienne, Mogadiscio. Les miliciens islamistes n'en continuent pas moins de peser lourdement sur la vie du pays, a pu constater notre envoyé spécial. Il a rencontré une des jeunes victimes du mouvement fondamentaliste ainsi qu'un déserteur qui en avait ras le bol des «meurtres inutiles».

Le rendez-vous a été fixé dans un restaurant du centre de Mogadiscio. L'homme dans la vingtaine, assis à une table reculée, affiche une nervosité qui ne le quittera pas de tout l'entretien.

Cet ex-membre des milices islamistes ne veut pas donner son nom et s'anime lorsqu'un garde de sécurité sort son téléphone, craignant que l'objectif soit de le prendre en photo à son insu.

Après avoir longuement inspecté le contenu de la mémoire de l'appareil et découvert à sa satisfaction qu'il ne contient rien de compromettant, Mohamed, qui utilise un nom fictif, accepte enfin de se confier.

Pendant trois ans, le Somalien a combattu dans les rangs des shebab avant de déserter, en août, lorsque ses compagnons d'armes se sont retirés en périphérie de la capitale somalienne. Il se dit convaincu que sa vie est aujourd'hui en danger.

«Je suis certain qu'ils me cherchent. Je dois faire attention puisqu'ils disposent d'un système de renseignements bien plus sophistiqué que celui du gouvernement», murmure-t-il en affichant un sourire de satisfaction qui semble suggérer qu'il admire encore le niveau d'organisation du mouvement.

Troupes éthiopiennes

Mohamed affirme s'être rallié aux shebabs il y a trois ans lorsqu'ils combattaient les troupes éthiopiennes envoyées dans le pays pour stabiliser la situation et soutenir un fragile gouvernement de transition.

La rhétorique des shebabs, qui insistaient sur l'appartenance chrétienne des Éthiopiens, l'a conquis. «Ils disaient qu'il fallait lutter contre l'invasion infidèle et protéger l'islam... Nous avons une longue histoire de conflits avec eux», relate-t-il.

Au fil des ans, le frêle homme a participé à nombre de combats, notamment contre les troupes de l'AMISOM, force d'interposition africaine qui patrouille aujourd'hui dans les rues de Mogadiscio.

«Mais je me suis rendu compte que les combats duraient et duraient et que de jeunes Somaliens mouraient chaque jour sans qu'aucune fin ne soit en vue. Des proches m'ont fait comprendre que ça n'avait pas de sens», dit-il.

L'homme affirme aussi qu'il a vu trop de «meurtres inutiles» pour pouvoir continuer. Impossible cependant de lui en faire dire plus à ce sujet.

«Je sais ce qu'il est en train de faire, ce chrétien essaie de trouver des informations pour ternir l'image de notre religion», lance-t-il à l'interprète somalien de La Presse.

Malgré les assurances données, il continue d'éluder la question. Et multiplie plutôt les critiques contre l'AMISOM, qui a souvent été accusée de cibler sans discrimination et à l'arme lourde des quartiers résidentiels où se terraient les shebab en faisant beaucoup de victimes civiles.

Encore l'été dernier, dit-il, les soldats ougandais et burundais qui composent la force africaine ont tiré sur une position abandonnée où vivaient nombre de civils alors que les shebab étaient ailleurs, faisant des victimes inutiles.

Al-Qaïda

Les liens entre les shebab et Al-Qaïda sont un sujet sur lequel il se montre plus disert. Bien que les dirigeants des milices islamistes aient officiellement prêté allégeance à l'organisation terroriste, l'étroitesse de leurs liens demeure matière à discussion. Notamment parce que le programme des miliciens somaliens semble largement dominé par des préoccupations nationales, voire régionales.

Mohamed affirme avoir eu l'occasion, en trois ans, de combattre à diverses reprises avec des combattants étrangers, venus surtout, selon lui, d'Égypte et d'Arabie Saoudite. Il croit aussi savoir que certains commandants viennent de l'étranger. «On ne les voyait jamais, mais on nous relayait leurs salutations et leurs encouragements», dit-il.

Les shebabs font grand cas de leurs convictions religieuses et n'hésitent pas à imposer une interprétation sévère de la charia à une population somalienne habituée à des pratiques plus modérées d'inspiration soufie.

Selon Mohamed, leur usage de la religion est très intéressé. «Certains luttent vraiment pour l'islam, mais pour d'autres, ce n'est que le pouvoir qui compte», relate l'ancien milicien, qui est sollicité par le gouvernement pour espionner les islamistes.

«Ils font pression sur moi, mais je n'ai pas accepté», indique le jeune homme qui semble se méfier de tout le monde, et particulièrement des Occidentaux.

«Canadien? Peut-être êtes-vous plutôt un espion américain?», lance-t-il, mi-figue, mi-raisin, avant de partir.