Le quartier de Bel-Air était jusqu'à tout récemment une zone de non-droit au coeur de Port-au-Prince. Une enclave où les gangs se livraient une guerre armée sans aucun respect pour une population prise en otage. La police n'y mettait jamais les pieds.

D'après la Mission des Nations unies pour la stabilisation d'Haïti, Bel-Air est toujours une zone rouge (quartier instable et violent) où s'entassent 90 000 personnes. Mais depuis deux ans, le quartier est beaucoup plus calme. Une ONG brésilienne, Viva Rio, y a démarré un projet de réduction de la violence. Personne ne croyait que Bel-Air pouvait être pacifié. Et pourtant, les résultats sont encourageants.

 

À un point tel que des quartiers difficiles de Montréal comme Montréal-Nord et Saint-Michel devraient s'en inspirer, croit la gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean. «Cette expérience peut donner des leçons au Canada, car nous faisons aussi face à des réalités d'exclusion qui peuvent pousser une jeunesse désoeuvrée vers la criminalité», a-t-elle dit, hier. Sous haute surveillance policière, Mme Jean a marché dans les rues de Bel-Air, où s'amoncellent déchets et carcasses de voitures. Cela aurait été impossible à sa dernière visite en Haïti, en 2006, a-t-elle admis.

Au plus fort des guerres de gangs, en 2004 et 2005, près de la moitié des habitants de Bel-Air ont fui le quartier. À l'époque, des manifestations politiques meurtrières avaient éclaté pour protester contre le départ du président Jean-Bertrand Aristide, en février 2004.

La majorité des enfants de Bel-Air avaient été envoyés chez un parent, dans une zone plus calme. Ceux qui sont restés se considèrent eux-mêmes comme des enfants-soldats.

Makinson, 20 ans, était l'un de ceux-là. «On se fabriquait des pistolets qui faisaient beaucoup de bruit pour faire peur. On brûlait des pneus et on lançait des roches», raconte le jeune homme. Il avait 14 ans lorsqu'il a quitté l'école pour entrer dans un gang. Aujourd'hui, Viva Rio l'a aidé à retourner à l'école, en plus de lui apprendre la capoeira, un art martial afro-brésilien qui allie danse et combat. «Pour le moment, ça va, mais j'ai encore du mal à trouver de quoi manger», raconte ce jeune au regard fuyant et aux bras couverts de brûlures et de cicatrices.

Fort de son expérience dans les violentes favelas brésiliennes, Viva Rio a réussi à faire signer un accord de paix aux chefs de gangs de 11 zones de la capitale, dont Bel-Air. L'idée, ensuite, c'est de récompenser les jeunes chaque mois, à condition qu'aucun meurtre ne survienne dans la zone. L'organisme fait tirer des bourses d'études parmi tous les enfants du quartier.

On organise aussi des fêtes populaires au cours desquelles des groupes raras (musique traditionnelle vaudou) défilent dans les rues en jouant de la trompette et du tam-tam. «Des gangs rivaux font maintenant de la musique ensemble. Personne n'y aurait cru», raconte le directeur du projet, Rubem Fernandes. Des ateliers de fabrication de drapeaux vaudou donnent aussi du travail aux ex-membres de gangs. Ce projet, qui comprend aussi un volet de santé publique, est financé en partie par le Canada, à la hauteur de 4,5 millions.

Dans ce quartier, les Casques bleus de l'ONU, la police haïtienne et les leaders populaires sont capables de s'asseoir à la même table. C'est loin d'être le cas partout en Haïti, où les Casques bleus sont souvent associés à l'envahisseur et la police nationale, à la corruption.

Parfois, il y a tout de même des étincelles à Bel-Air. Comme l'automne dernier, lorsqu'un policier a tué un cycliste. Mais le soulèvement populaire a été évité parce que tout le monde s'est parlé. Les kidnappings, l'une des principales activités des gangs au pays, ont cessé dans le quartier.

Le commandant de l'armée brésilienne en Haïti dirige ses troupes dans trois bidonvilles: Cité-Soleil, Cité militaire et Bel-Air. «L'intégration la plus harmonieuse se fait à Bel-Air. On n'a pas encore cette réussite dans les autres quartiers», indique le colonel Merces.

Les gangs ont tout de même laissé des traces. Au coeur de Bel-Air, une grande murale représente un chef de gang surnommé Mackenzy, tué en 2004. «Papa revolusion», peut-on lire sur cette murale, restée impeccable alors que les murs de Port-au-Prince sont tapissés de graffitis. Comme si personne ne pouvait profaner la mémoire du gangster.