Le 28 juin, en pleine nuit, des militaires arrêtaient le président du Honduras, Manuel Zelaya, et l'exilaient au Costa Rica dans son pyjama. Depuis, le petit pays d'Amérique centrale, un des plus pauvres du continent, est divisé en deux camps. Entre eux, une lutte à finir qui prend des airs de guerre froide.

Peinte en pêche du plancher au clocher, la cathédrale San Miguel de Tegucigalpa est l'une des rares attractions touristiques de la capitale du Honduras. À l'ombre de ses murs, les personnes âgées socialisent et les prostituées viennent haranguer les clients. Mais depuis quelques mois, l'église emblématique n'est plus que lieu de flânerie et de nonchalance.

Bien malgré elle, la cathédrale a hérité d'une autre vocation: ses murs sont devenus le canevas sur lequel s'exprime la crise politique dans laquelle le pays d'Amérique centrale est plongé depuis le 28 juin.

Ce jour-là, l'armée - avec la bénédiction de la Cour suprême - a arrêté le président du pays, Manuel Zelaya et l'a expulsé au Costa Rica. Ce premier coup d'État d'Amérique latine en 20 ans a scindé le Honduras en deux camps.

D'un côté, les fidèles de Zelaya ont pris le nom de la «resistancia» (la résistance) ou des «rojos» (les rouges). De l'autre, les supporters du coup d'État sont devenus les «blancos» (les blancs).

Les murs de la cathédrale San Miguel témoignent de la profonde division qui mine la société hondurienne, exacerbée par le retour de Manuel Zelaya, cloîtré depuis deux mois à l'ambassade brésilienne. «Partez responsables du coup d'État!», peut-on lire sur un des murs de l'église. «Partez communistes! Décampe Zelaya!», répond une autre inscription.

Tout autour de la grande église, comme sur la plupart des murs vierges de la capitale, le même manège se reproduit. Les «blancos» et les «rojos» se parlent par slogans interposés. Des plaques de peinture fraîches témoignent des efforts déployés pour faire disparaître les graffitis disgracieux. Mais ils reviennent, encore et encore.

La chanson des rouges

Chanteur et psychologue, Nelson Pavon admet qu'il ne reconnaît plus la société qui l'a vu grandir. «La dernière fois que la société civile hondurienne a été aussi active, c'était dans les années 50», note-t-il. Il a lui-même sorti sa guitare pour composer des chansons anti-coup. Elles tournent sur le web et sur les ondes des quelques radios progressistes qui n'ont pas été fermées par les militaires et le régime de Roberto Micheletti, en place depuis le coup d'État.

Il a aussi participé à la plupart des manifestations en faveur du retour de Zelaya au pouvoir. Dans les rangs des rouges, il a vu des enseignants, des paysans, des artistes, des ouvriers. La classe ouvrière et la classe moyenne.

Progressiste, Nelson Pavon ne cache pas qu'il n'a pas toujours été un fan du président, qui, après avoir été élue sous la bannière du Parti libéral de centre-droite, est devenu un proche d'Hugo Chavez, le président populiste du Venezuela. «Mais quand j'ai vu que toute l'élite politique et du monde des affaires faisaient front commun contre les réformes qu'il suggérait, j'ai eu un déclic».

Son engagement ne se fait pas sans risque, raconte l'homme de 42 ans à la forte barbe. Toutes les fois que lui et ses amis donnent un concert au nom de la «resistencia», des militants sont arrêtés, intimidés par la police et l'armée. Mais Nelson Pavon persiste et chante.

Ses idées comme ses chansons sont loin de faire l'unanimité...même au sein de sa propre famille. Ses beaux-parents, dit-il, sont en faveur du coup. Alors que leur fille boycottait les élections de dimanche dernier, que la résistance jugeait illégales, ils sont allés voter. Résultat: le candidat conservateur, Porforio Pepe Lobo, a été élu avec quelque 56% des voix.

À table avec un blanco

Attablé dans un café populaire près du grand stade de Tegucigalpa, Yovanny Dubon Trochez sourit quand on lui parle du coup d'État du 28 juin. «Les juges ont dit à Zelaya qu'il violait la loi en demandant une consultation populaire pour pouvoir éventuellement modifier la constitution. L'armée a fait respecter la loi», soutient-il avec enthousiasme. Comme beaucoup, Yovanny Dubon Trochez craignait que Zelaya tente de briguer un deuxième mandat, interdit par la constitution actuelle et qu'il en profite pour transformer le Honduras en État socialiste.

Fier d'appartenir aux «blancos», il est lui aussi descendu dans la rue à plusieurs reprises. Autour de lui, il a retrouvé des partisans de Pepe Lobo et des Libéraux, qui ont tourné le dos à Zelaya. «Je suis heureux que le coup ait eu lieu parce que j'ai peur du communisme. Si Chavez, par le biais de Zelaya, avait pris le contrôle du pays, je serais parti», explique le professeur d'université, en plantant un tortilla dans une montagne de fèves noires. «La guerre froide n'est pas terminée en Amérique latine. Et surtout pas au Honduras!»