Élu à la présidence du Honduras le 29 novembre lors d'un scrutin controversé qui suit un coup d'État, Porforio «Pepe» Lobo affirme être l'homme qui sortira son pays de la crise politique. Notre journaliste s'est rendue dans sa ville natale, plantée au milieu du Honduras agricole, pour en savoir plus sur ce fils de bonne famille, marié aujourd'hui à la droite de son pays, mais jadis disciple de l'Union soviétique.

Il vient du «Far Est» du Honduras, là où les adolescents reçoivent un revolver pour leur anniversaire. Il a été élevé sur un ranch, entre le bétail, les champs de maïs et la forêt. Mais, jeune adulte, Porfirio «Pepe» Lobo préférait se plonger dans un livre de Marx plutôt que se promener en pick-up sur les terres familiales.

 

Le parti, auquel il appartient depuis des décennies et pour lequel il vient tout juste de remporter les élections, aimerait bien que ce passé taché de rouge disparaisse.

Parti de la droite, proche des élites fortunées du pays le plus pauvre d'Amérique centrale, le Parti national a soutenu le coup d'État du 28 juin contre Manuel Zelaya, jugé trop proche du régime populiste d'Hugo Chavez, et n'a pas de sympathie pour les velléités socialistes.

Il suffit cependant de frapper à quelques portes de Juticalpa, un des chefs-lieux de la province d'Olancho, pour que la première vie de Porforio Lobo, aujourd'hui âgé de 61 ans, refasse surface.

Plusieurs habitants de cette petite ville endormie ont bien connu celui qui deviendra président du pays le 27 janvier 2010 à l'époque où il enseignait la philosophie dans une école secondaire du coin. «Pepe», le surnom qui lui colle à la peau, avait la jeune trentaine et le pays se débattait sous la dictature.

Comme le personnage de Robin Williams dans La société des poètes disparus, il avait créé un groupe de discussions littéraires. «On se pointait pour l'entendre parler avec passion de tous les livres qu'il lisait. Il enseignait Marx, mais aussi les penseurs d'Amérique latine. C'était un révolutionnaire. Il prenait son salaire et le redistribuait sous forme de bourses à ses étudiants», raconte, sous le couvert de l'anonymat, un de ses anciens étudiants.

Il n'a que des éloges à la bouche pour Pepe Lobo, qui a été son professeur préféré, mais il craint les représailles de l'entourage de ce dernier. Juticalpa est une bien petite ville.

Ici, sur la place principale de la ville, où l'on mange des pupusas à l'ombre de l'église blanchie à la chaux, on se souvient que Pepe Lobo a fait un séjour d'études en Russie soviétique. Silvia Avila (nom fictif) note qu'en étant ouvertement de gauche dans les années 70 et 80, Pepe Lobo jouait gros. «Le fait qu'il est toujours en vie prouve qu'il vient d'une famille incroyablement puissante, note Mme Avila. Les militants de la gauche à l'époque (de la Guerre froide) se faisaient assassiner par le régime de droite.»

Visite dans la 3e Rue

Encore aujourd'hui, à Juticalpa, les Lobo jouent un rôle central. La maison familiale occupe un pâté de maisons en entier, à deux pas de la place centrale. La demeure est grande, mais on n'y voit aucun étalage de richesse. Les meubles y sont rares et la peinture écaillée. La simplicité volontaire de ces riches propriétaires terriens leur a toujours valu beaucoup de respect à Juticalpa.

Ici, on parle tout bas du Pepe gauchiste d'antan, mais on se souvient avec fierté de celui qui a repris l'entreprise agricole familiale après des études en administration à l'Université de Miami. Le deuxième Pepe: l'homme d'affaires puis le politicien conservateur qui est député depuis 1990. «C'est un gars du ranch qui n'a pas peur de se salir les mains», soutient sa soeur, Elsa Lobo alors qu'on nous tend une assiette de fromage blanc et des bananes produites sur la ferme familiale.

C'est ce Pepe-là que la majorité des Honduriens connaissent. Celui qui, lors de l'élection présidentielle de 2005, avait plaidé en faveur de la peine de mort et de la ligne dure pour combattre la délinquance. Des idées ultraconservatrices qui ont fait peur à beaucoup de monde et qui ont permis à Manuel Zelaya de remporter la victoire.

Au cours de la dernière campagne, Porfirio Lobo a tenté de se débarrasser de cette image réactionnaire. Il a promis de ménager l'élite du milieu des affaires, tout en aidant la population la plus pauvre. Une promesse qui laisse présager que Pepe le rouge et Pepe le conservateur tenteront tant bien que mal de cohabiter à la tête d'un pays plongé dans une profonde crise politique.