Les vacanciers de la région de Cancún et de la Riviera Maya ont du sable à se mettre entre les orteils cet hiver. Une importante opération de restauration des plages pour ajouter des milliers de mètres cubes de sable vient tout juste de se terminer. Une opération saluée par les hôteliers, mais critiquée par les écologistes mexicains, qui admettent être impuissants devant la puissante industrie touristique de la région.

La gigantesque opération vient de prendre fin. Six millions de mètres cubes de sable ont été pompés de la mer pour être répandus sur 12 kilomètres de plages à Cancún et 4 kilomètres sur la Riviera Maya. Il était temps: les plages rocailleuses déplaisaient aux touristes et tout le monde, de l'écologiste au propriétaire d'hôtel, s'entendait pour dire qu'il fallait faire quelque chose. Pas de plage, pas de touristes...

La restauration entreprise l'été dernier aura coûté 636 millions de pesos (près de 52 millions en dollars canadiens), financés par le gouvernement mexicain, l'État de Quintana Roo et les municipalités concernées.

Une restauration qui s'est aussi faite au prix de disputes politiques, d'intervention des tribunaux et de critiques des écologistes. Mais ces derniers ont, en retour, été accusés de vouloir empêcher un projet crucial pour l'avenir économique de la région. À tort, disent-ils.

«Nous ne voulons pas empêcher les travaux, nous voulons qu'ils soient bien faits», clame l'avocate Alejandra Serrano, du Centro Mexicano de Derecho Ambiental, organisme juridique qui se consacre à la défense de l'environnement. «Je ne dis pas que Cancún doit se passer des plages. Ça fait partie de ce que les touristes veulent», dit-elle. «Les gens pensent qu'on veut empêcher le développement. Nous voulons un développement, mais durable, qui assure qu'il y aura des ressources naturelles pour longtemps.»

Car c'est justement le grain dans l'engrenage: malgré les millions de pesos, ce n'est qu'une question de temps avant que tout ce sable ne retourne à la mer. Alejandra Serrano croit même qu'avant la fin de l'année, il ne restera plus rien des nouvelles plages de la Riviera Maya. La mer aura tout englouti.

Colère à Cozumel

D'où est venu le sable qui a redonné un coup de jeunesse à la station balnéaire? De la mer, au large de la côte. Mais aussi en partie d'un banc au nord de l'île de Cozumel, située au sud de Cancún, un paradis de la plongée sous-marine.

Quand les bateaux ont commencé à pomper le sable au nord de l'île, les habitants ont très mal réagi. Le banc de sable accueille notamment les larves d'escargots roses (caracol rosado), mollusque local élevé au rang d'emblème par les habitants du coin. Les travaux ont dû être arrêtés sur ordre du tribunal après que des opposants eurent invoqué le statut d'espèce protégée de l'escargot.

Robert Cudney, directeur de Mexico Silvestre, organisme voué à la protection de la nature, fait partie des citoyens qui se sont insurgés. «Ce n'est pas que du sable!», martèle-t-il. «S'il n'y avait que du sable, il n'y aurait pas d'escargots. C'est la preuve qu'il s'agit de tout un écosystème, même si nous ne parlons que de micro-organismes et d'algues, c'est un habitat important. C'est comme le désert: ce n'est pas que du sable.»

Gros hôtels et érosion

Les causes de l'érosion des plages sont bien connues: la construction des hauts hôtels, directement sur les plages à partir du milieu des années 70, a fait disparaître les dunes naturelles qui retenaient le sable sur la rive.

Pour y remédier, à part démolir les immeubles, il faut un programme continu d'entretien des plages, disent les écologistes. Ce qui n'est pas à l'agenda des autorités.

«À mon avis, il s'agit d'un projet mal planifié qui ne durera qu'une courte période de temps», dit Roberto Iglesias Prieto, de l'Institut des sciences de la mer à l'Université nationale autonome de Mexico. «Il y a de bonnes chances qu'il faille recommencer l'an prochain. Cela dépend des conditions météorologiques.» Surtout des ouragans. «Il suffit d'un ouragan pour faire disparaître tout le sable.»

«Le problème perdurera tant que des hôtels s'y trouveront», poursuit-il. «Cancún atteint un âge où certains des vieux hôtels sont démolis et reconstruits. Une solution serait de reconstruire ces hôtels selon de nouveaux critères qui permettraient aux dunes de retenir le sable des plages.»

«Je pense qu'il est important que les touristes sachent que les hôtels causent de l'érosion, dit Alejandra Serrano. S'ils choisissent un hôtel mieux construit, ça aidera à changer les choses comment se fait le développement. Les touristes peuvent demander un développement différent en choisissant différemment.»

À Cozumel, l'aventure a laissé les gens amers. «On a eu le sentiment que leurs droits ont été bafoués, dit Robert Cudney. Que Cancún a profité de nous. Parce que la ville a mal géré sa côte, elle vient ici violer les ressources d'une île qui a assez bien conservé les siennes. Ce n'est pas juste.»

 

PLUS QUE DU SABLE

Les conséquences environnementales d'un tel bouleversement d'écosystèmes sont mal connues, admet Roberto Iglesias Prieto, de l'Institut des sciences de la mer à l'Université nationale autonome de Mexico. Par exemple, le sable de Cozumel n'est pas le même qu'à Cancún. «Ce sable contient des particules plus fines qui peuvent boucher les coraux de la région de Cancún», craint le biologiste. Une restauration semblable menée en 2006 et dont il ne restait plus de trace deux ans plus tard! , avait notamment permis aux scientifiques d'observer des changements de propriétés dans l'eau près des coraux. «C'est une préoccupation importante, dit M. Prieto. Nous ne pouvons pas dire ce qui va arriver, nous pouvons seulement prévoir que nous aurons perdu tout ce sable dans deux, trois ou quatre ans. Mais nous pourrions essayer de faire les choses autrement, la prochaine fois.»