Au passage de Marie-Yolaine Mathieu, la directrice de la seule prison pour femmes en Haïti, des détenues s'accrochent aux barres de fer de leur cellule et tentent d'attirer son attention.

«Inspectrice, inspectrice, j'ai besoin de toi, j'ai quelque chose à te dire», crie une jeune femme les cheveux en pagaille et le visage couvert de boutons. «J'ai passé six ans dans cette prison, j'ai un enfant de 10 ans abandonné depuis la mort de ma mère, qui le gardait au moment du tremblement de terre», raconte Magretta. «Je n'en peux plus», crie-t-elle.

Dans cette prison où les conditions de détention sont «cruelles et inhumaines», selon un expert de l'ONU, croupissent plus de 300 femmes, alors que l'endroit ne devrait en héberger qu'une trentaine.

«Selon les règlements internationaux, 36», précise la directrice. «Mais on continue d'arrêter les femmes et on les envoie ici et la justice ne libère pas. Que doit-on faire?», questionne-t-elle.

Une femme dans la soixantaine, diabétique et souffrant d'hypertension est enfermée depuis trois ans, sans jugement. Une autre de 39 ans a perdu son bébé à cause des mauvaises conditions d'incarcération alors qu'elle était enceinte de huit mois. Trois autres ont accouché dans une petite infirmerie, dans des conditions exécrables.

«C'est une injustice criante qu'on est en train de faire aux Haïtiennes», reconnaît le chef du parquet de Port-au-Prince, Auguste Aristidas.

Au-delà de la prison pour femmes de Pétion-ville, dans la banlieue de la capitale, les prisons haïtiennes débordent toutes de détenus en détention provisoire, incarcérés plusieurs années sans être jugés.

Les organisations de défense des droits de l'homme ont beau dénoncer «des conditions inhumaines, un enfer dans les prisons», rien n'y fait, la situation perdure.

Récemment, le ministre de la Justice a ordonné de monter des tribunaux à l'intérieur des prisons pour essayer de désengorger les cellules, mais les dossiers n'avancent pas.

«Nous sommes conscients de la situation, mais il y a un grand désordre dans le système, les dossiers des détenus sont introuvables, ce qui nous empêche de poursuivre les audiences», remarque Auguste Aristidas qui promet de faire avancer les procédures.

Entre temps, les femmes, dont vingt-six adolescentes, continuent de croupir dans les cellules. «Nous dormons les unes contre les autres, nous ne bénéficions pas de soins de santé, ici c'est l'enfer. Si la justice fonctionnait, il n'y aurait pas toutes ces femmes en prison», dit Sheila Casimir.

Dans une salle de 10 m2, cohabitent 17 adolescentes, de 11 à 17 ans, qui se partagent quatre vieilles couchettes.

«Les mineures arrivent souvent pour des petites infractions punissables de 3 à 6 mois, mais elles purgent souvent, sans jugement, entre 5 à 6 années de prison», constate Mme Mathieu.

 Sherline, arrivée à la prison à 16 ans, en a aujourd'hui 21.

«En 2005, j'avais des problèmes avec mon frère qui trouvait que je rentrais trop tard à la maison. Il m'a conduit à un poste de police pour me punir un moment, selon lui. Depuis je suis enfermée ici», dit-elle résignée.

Les autres cas sont semblables, Myrline, 19 ans est arrivée pour vol il y a 5 ans. Elle n'a jamais vu de juge. La toute dernière détenue, 11 ans, est accusée de voies de fait ayant provoqué la mort. Elle s'était bagarrée avec une petite de son âge.

«Ca me fend le coeur de voir ces enfants passer les plus belles années de leur vie en prison, exposées à tout...», confie la directrice de la prison. «Tout. Parce qu'à la prison les plus anciennes contraignent les nouvelles à des activités sexuelles».