La demande d'indemnisation présentée par Ingrid Betancourt à l'État colombien pour ses six ans passées entre les mains de la guérilla des Farc, est vue comme un «suicide politique», selon des experts.

«Ce qu'elle a fait est un suicide politique qui semble dévoiler son intention de quitter ce pays de manière définitive», a écrit l'hebdomadaire colombien Semana, qui a placé sa photo en une, sous un seul mot: «honteux».

Selon un communiqué du parquet, qui devra examiner cette requête «aux fins de conciliation» le 5 août, la Franco-Colombienne et sa famille ont demandé 15 milliards de pesos (huit millions de dollars) - et non 13 comme annoncé précédemment.

Pourtant, elle pouvait déjà compter, selon la presse, sur plusieurs millions de dollars au titre des droits du livre sur son enlèvement qui sera notamment publié en France, en Espagne, en Amérique latine et aux États-Unis.

Pourtant, Ingrid Betancourt a été libérée lors d'une opération militaire coûteuse, dans un pays où la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et des dizaines de milliers d'anonymes continuent à chercher les corps de leurs proches tués par le conflit.

Ses concitoyens lui reprochaient déjà de ne pas avoir assez fait depuis sa libération pour défendre le sort des otages, et de ne pas le faire en Colombie.

Mais les critiques étaient généralement voilées.

Depuis vendredi, la discrétion n'est plus de mise. «Prix mondial de l'ingratitude», selon le vice-président Francisco Santos. «Caprice de dame gâtée de la jet-set internationale», selon l'éditorialiste Maria Jimena Duzan.

La Franco-Colombienne gardait auparavant encore un mince capital d'image, qui aurait ainsi pu la propulser à un poste au sein du gouvernement du président élu Juan-Manuel Santos, qui prendra ses fonctions le 7 août et fut, au début des années 1990, l'un de ses mentors.

Avocate de formation, elle aurait aussi dû, selon certains spécialistes, comprendre le peu de chances que son geste avait d'aboutir.

L'ex-otage accuse notamment l'État de l'avoir négligée le 23 février 2002, lorsque les gardes du corps qui l'accompagnaient dans sa campagne présidentielle, l'ont laissée partir seule sur la route du département de Caqueta où elle fut enlevée.

Mais l'État dispose de nombreux documents prouvant que des officiers de la police et de l'armée avaient tenté de la dissuader d'emprunter ce chemin, qu'elle avait finalement pris à ses risques et périls.

Ingrid Betancourt s'est défendue dimanche soir en admettant que la somme demandée -- «astronomique», «absurde», selon ses propres mots -- était en réalité «symbolique» et que sa démarche avait pour but d'ouvrir la voie à l'indemnisation d'autres otages.

La voie ne s'est pas ouverte et le seul débat lancé semble s'être concentré sur sa personne, objet de toutes les attaques.

«Que les Européens la soutiennent (...) après tout c'est eux qui ont inventé la fable selon laquelle elle était une Jeanne d'Arc des temps modernes», a écrit Maria Jimena Duzan.

En outre, selon Edgar Gomez, directeur de l'association Pais Libre, dédiée à la défense des otages, bien que d'autres procédures similaires soient à l'étude, elles ont peu de chances d'aboutir.

«En Colombie, il y a depuis plus de 40 ans des groupes armés et l'État ne peut assurer la sécurité de ses citoyens dans les régions où d'autres acteurs sont plus forts que lui. C'est comme si les personnes sous contrat qui travaillent en Irak demandaient à ce pays de les indemniser pour les enlèvements».