Les manifestations publiques contre le gouvernement sont rares, très rares à Cuba. Mais depuis sept ans, les Dames en blanc défilent, chaque dimanche, pour réclamer la libération de prisonniers politiques. Une procession qui se fait sous la protection de l'Église catholique cubaine, qui jouit de la confiance tant de l'État que des dissidents, explique notre journaliste.

Sur le coup de midi, en ce troisième dimanche d'octobre, après la messe célébrée à l'église catholique de Santa Rita, une cinquantaine de femmes habillées de blanc se partagent un bouquet de glaïeuls. En rang de deux, elle arpentent, en silence, l'avenue Quinta. Quelques voitures ralentissent, mais peu de passants assistent à l'étrange procession de celles qu'on appelle les Damas de blanco (Dames en blanc).

Le rituel a lieu chaque dimanche depuis maintenant sept ans. À l'origine, Miriam Leiva avait voulu protester à sa façon contre l'emprisonnement de son mari, l'économiste Oscar Espinosa Chepe, lors du «Printemps noir» de mars 2003. D'autres femmes et mères des prisonniers -ils étaient 75 à avoir été condamnés au cours de cette rafle- se sont jointes à elle dans cette église située dans le chic quartier de Miramar, au milieu des ambassades.

Le lieu n'avait pas été choisi au hasard. «C'était une manifestation pacifique et apolitique», dit Mme Leiva.

Ce qui est moins le cas aujourd'hui, déplore Mme Leiva. Plusieurs opposants du régime, de toutes les tendances, se sont joints en appui aux Damas de blanco. «Aujourd'hui, dit Miriam Leiva, la majorité des manifestantes ne sont pas des Damas de blanco d'origine, mais des gens qui les appuient.»

Une bonne partie des premières Dames en blanc ont suivi leur mari en Espagne, où 39 prisonniers ont été expulsés - les opposants disent «déportés» - depuis juillet à la suite de négociations entre le régime et l'Église catholique cubaine. Car l'Église est la seule organisation non gouvernementale suffisamment indépendante et organisée à Cuba pour mener une telle opération.

L'initiative de l'Église ne plaît pas à tous. En août, 165 opposants au régime -considérés comme «l'aile dure» de la dissidence, opposée à tout assouplissement des positions de l'Union européenne et des États-Unis à l'égard de l'île communiste- ont dénoncé «la position lamentable et honteuse de la hiérarchie catholique cubaine».

»300 prisonniers politiques»

En sept ans, les balades dominicales des Dames en blanc ont parfois viré au rififi. En avril dernier, les marcheuses ont été pourchassées et arrosées d'insultes par des militants du Parti communiste arrivés à l'église en autobus. Le cardinal Jaime Ortega, archevêque de La Havane, est intervenu auprès du régime pour que la procession des Dames soit respectée.

Miriam Leiva ne marche plus avec les Dames en blanc, qu'elle a quittées «en bons termes», souligne-t-elle. La militante d'opposition Mayra Morejon Hernandez, elle, continue à marcher. Elle n'a ni mari ni fils emprisonné dans les geôles cubaines, mais elle veut «marcher jusqu'à ce que tous les prisonniers de conscience soient libérés», dit-elle. «Il y a 300 hommes emprisonnés pour des raisons politiques à Cuba», affirme-t-elle.

Amnistie internationale, de son côté, indique qu'il y a une trentaine de prisonniers de conscience -des individus emprisonnés pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions- dans les prisons cubaine. «Certains ont été emprisonnés lors de rafles parmi les dissidents politiques, d'autres ont été ciblés individuellement», a déclaré l'organisation dans un rapport publié en juin dernier.

«Le harcèlement, l'intimidation, la détention arbitraire et les poursuites criminelles continuent d'être utilisés pour restreindre l'expression de points de vue critiques du gouvernement, dit Amnistie. Ceux qui sont ciblés sont des dissidents et des critiques, souvent des journalistes indépendants et des militants politiques et des droits de l'homme.»

Raúl Castro a promis de libérer 52 prisonniers du «Printemps noir» avant le mois de novembre. Les 39 qui ont été libérés jusqu'ici ont été expulsés en Espagne avec leur famille. Les 13 autres refusent de quitter le pays.