La cour des miracles. Un enfant couché dans un coin sur une couverture tachée par la diarrhée. Des malades entassés dans des salles surpeuplées, un soluté fiché dans la main. Dehors, sous les arbres, des gens étendus par terre. Certains vomissent dans des seaux improvisés.

Même si l'hôpital de La Providence, aux Gonaïves, a des airs de fin du monde, le directeur reste calme.

«C'est un hôpital de fortune, explique le Dr Saint-Gilles. Les cas de choléra ont explosé depuis deux jours. Au début, on avait réservé 18 lits pour le choléra. Au cours du week-end, on est monté à 42, puis à 72. Parfois, on doit mettre deux ou trois enfants dans le même lit. Et j'ai dû ouvrir une quatrième salle.»

Le Dr Saint-Gilles me fait visiter la section réservée au choléra. Il passe à côté d'une patiente étendue par terre, son soluté collé sur le mur avec du ruban adhésif. Sous un toit de tôle, les patients gisent sur des lits étroits. L'hôpital est un ancien hangar.

Entre les bâtiments, des chèvres se promènent tranquillement, indifférentes au drame qui secoue les Gonaïves, une ville poussiéreuse de 250 000 habitants, située à 150 kilomètres au nord de Port-au-Prince.

Une longue flaque de diarrhée s'étire sur le ciment. C'est là, à côté de cette flaque, que j'ai croisé un logisticien de Médecins sans frontières, Emmanuel. Il monte des tentes dans l'arrière-cour de l'hôpital. Il est pressé, débordé.

«Les cas de choléra explosent, dit-il. Cette nuit, aux Gonaïves, il y a eu 35 morts. L'épidémie est grave, la maladie se propage rapidement. Vous avez des malades qui viennent ici en tap-tap. Ils vomissent dans le taxi. Personne ne nettoie. Le tap-tap continue à rouler toute la journée.»

Un vent de panique souffle sur les Gonaïves. Dans la rue, certains se promènent avec un masque, des gants ou de grandes bottes.

Des gens jettent des cadavres à côté du cimetière qui, lui aussi, a des airs de fin du monde. Une odeur de pourriture flotte au-dessus des tombes décaties.

Les écoles ont fermé à cause de l'ouragan Tomas. Elles doivent rouvrir aujourd'hui. «Elles vont peut-être rester fermées à cause de la panique, explique Franz Lebrun, journaliste à Radio Gonaïves. Il faudrait désinfecter les locaux.»

Les autorités locales sont débordées. La mairie? «Ils ne sont que deux, répond Franz Lebrun, et le maire s'occupe des cadavres jetés dans la rue. La directrice de la santé publique ne répond même pas à son téléphone.»

Le salon funéraire des Gonaïves n'a jamais été aussi occupé. «Quand on va chercher un cadavre chez les gens, on ne sait pas s'il a eu le choléra, dit le directeur adjoint du salon, Joël Placide, assis dans son bureau réfrigéré par la climatisation. On le prend quand même, mais on le désinfecte avec du chlore.»

«La situation dégénère, ajoute-t-il. Les gens sont laissés à eux-mêmes. Nous sommes très stressés. On a eu le séisme, l'ouragan et maintenant le choléra. La population est traumatisée.»

***

Tout a commencé à Petite Rivière, situé à mi-chemin entre Port-au-Prince et les Gonaïves. Un village où coule un fleuve, l'Artibonite. Le fleuve fait partie de la vie de tous les jours: les gens s'y baignent et y lavent leur linge.

C'est là, dans les eaux calmes de l'Artibonite que le vibrion, la bactérie responsable du choléra, s'est développé. Et c'est là que le premier cas est apparu, le 19 octobre. Depuis trois semaines, Haïti vit au rythme du choléra, une maladie qui avait disparu depuis cent ans.

Petite Rivière a eu le temps de s'organiser. L'hôpital fonctionne rondement, Médecins sans frontières a pris en charge le choléra. On est loin du chaos des Gonaïves même si la propagation de la maladie dans tout le pays inquiète.

L'hôpital roule à plein régime. Environ 150 lits sont réservés au choléra. Pour l'instant. «On ne contrôle pas complètement la situation», affirme Anne Koudiacoff, coordonnatrice de l'opération choléra pour Médecins sans frontières.

Les malades sont couchés nus sur des lits propres troués au milieu. Sous le trou, un seau. La diarrhée est tellement violente que les patients n'ont pas le temps de se lever.

Une femme tient la main de sa mère. Cheveux gris, bouche entrouverte, yeux mi-clos, souffle court. Elle vit dans les montagnes. Dès que les vomissements ont commencé, elle s'est rendue à l'hôpital. Une heure de moto. Elle est arrivée épuisée.

Les enfants sont regroupés dans une salle contiguë. Stevenson a 7 ans.

- Comment ça va?

- M'Bon (je suis bien), répond-il dans un souffle.

«Il ne vomit plus, mais il a toujours la diarrhée», précise sa mère qui sourit timidement, soulagée devant les progrès de son fils.

Plus loin, une femme enceinte regarde son garçon étendu sur un brancard. Le petit a les traits tirés et les yeux enfoncés. Il ne bouge pas et fixe sa mère avec ses yeux immenses. Il a 6 ans.

Sa mère, Madeline Joseph, doit accoucher en janvier. Elle a deux autres enfants. Et le père? Il n'est plus là.

Madeline est élégante avec son grand chapeau rouge orné d'un ruban bleu. Si elle attrape le choléra, elle risque de faire une fausse couche. Si elle survit.

La salle d'attente est pleine à craquer. Les gens, anxieux, attendent le verdict du médecin. Ils ont peur. Même s'ils présentent des symptômes alarmants, ils espèrent qu'ils n'ont pas le choléra.

«Les Haïtiens sont très vulnérables, dit Anne Koudiacoff. Ils sont souvent sous-alimentés, affaiblis, plusieurs sont séropositifs. Et ils ont vécu des traumatismes: le tremblement de terre et l'ouragan Tomas

Tomas qui a provoqué des inondations et qui a déversé des trombes d'eau sur Haïti. L'eau où vit et se multiplie la bactérie du choléra.



Photo: David Boily, La Presse

Un homme veille sur son petit garçon atteint du choléra.