En pleine crise du choléra, le seul endroit destiné à recueillir les excréments humains de Port-au-Prince et de ses environs, est sur le point de déborder.

Quelques mois après le séisme, une fosse a été creusée d'urgence à même la décharge de Truitier, située aux abords du village de Duvivier, non loin du bidonville de Cité-Soleil.

Quelque 300 familles vivent carrément sur la décharge ou à moins de 300 mètres des ordures. Des dizaines d'hommes et de jeunes garçons, vêtus de haillons, ratissent chaque jour le dépotoir à la recherche de morceaux de métal, de bouteilles de plastique et de tout autre objet revendable. Ils jouent du coude devant chaque camion qui y entre pour décharger ses poubelles, question d'être le premier à mettre la main sur un potentiel trésor.

Depuis que l'immense lac de merde est apparu dans le paysage, la population de Duvivier s'inquiète. Le mois dernier, les résidants ont organisé des manifestations durant lesquelles il y a eu un mort. «Dans quel autre pays du monde jette-t-on les matières fécales à l'endroit même où vivent les gens?» lance à La Presse Jean Mauriliome Adély, qui a participé au soulèvement populaire. «Lorsque les vents partent de la mer, l'odeur est insupportable», ajoute un autre manifestant, Jean-Bernard St-Jusmé.

La mairie de Cité-Soleil partage la même inquiétude. «Avec l'apparition du choléra, la population qui vit près de la décharge pense que sa vie est en danger. On a le même pressentiment», dit le maire adjoint de la commune qui englobe Duvivier, Benoît Gustave.

La fosse a été agrandie une première fois, car elle menaçait déjà de déborder en septembre dernier. «Personne n'avait l'intention que ce lieu demeure si longtemps le seul à pouvoir recueillir les excréments humains», explique la conseillère en santé environnementale de l'Organisation mondiale de la santé, Sally Edwards. L'OMS travaille notamment avec l'UNICEF et les autorités locales pour tenter de trouver une solution.

Du point de vue de la santé publique, même si le problème de la fosse est urgent, la situation qui avait cours avant le séisme du 12 janvier 2010 n'était guère mieux, fait valoir l'experte de l'OMS. Les excréments ont toujours été mélangés aux déchets solides dans la décharge, alors qu'il vaut mieux une fosse destinée uniquement à recevoir des excréments humains, insiste-t-elle.

Seul un Haïtien sur cinq a accès à des toilettes ou des latrines, selon une étude réalisée avant le tremblement de terre. Ici, on appelle «toilettes volantes», l'habitude des Haïtiens de faire leurs besoins dans un sac de plastique ensuite balancé dans la rue ou dans un canal.

Projet d'une station d'épuration stoppé

Autre aspect décourageant: un projet de station d'épuration permanente, financé par la coopération espagnole, est présentement sur la glace en raison d'un litige lié au registre foncier. En Haïti, l'absence de registre foncier est un frein majeur à la reconstruction du pays. En voici le dernier exemple.

La construction de la station en banlieue de Port-au-Prince, au coût de 2 millions de dollars américains, était finalisée à 80%, lorsqu'un homme d'affaires ou un groupe (La Presse a tenté sans succès d'obtenir son identité), se disant propriétaire du terrain, l'a fait stopper ce mois-ci. La municipalité de Croix-des-Bouquets, où est situé le terrain de 15 hectares, avait pourtant rassuré tout le monde en soutenant qu'il était propriété de l'État.

«Cet imbroglio est difficile à résoudre. On souhaite que ça se règle dans les prochaines semaines, les prochains mois», a expliqué à La Presse d'un air découragé Émilie Chapuis, responsable des communications de l'agence haïtienne responsable de l'assainissement de l'eau (DINEPA).

D'ici là, tout le monde croise les doigts pour que la fosse de Truitier ne déborde pas. «Les entreprises privées qui ramassent les ordures et les excréments vont continuer d'y décharger leurs camions. Quand il n'y a pas de capacité de gestion, le contrôle est dur à faire», reconnaît Mme Chapuis de la DINEPA.

Une éventuelle contamination de la nappe phréatique en préoccupe plusieurs. La décharge de Truitier est située juste au-dessus de la nappe du Cul-de-Sac, une des principales sources d'eau de la région métropolitaine.

Pour l'instant, la nappe phréatique est intacte, selon Mme Edwards de l'OMS, citant une récente étude de la Banque mondiale. «Si la fosse déborde, il y a un risque. L'idée, c'est de trouver rapidement un lieu pour creuser une seconde fosse d'urgence en attendant que le projet de la station débloque», conclut la spécialiste de la santé environnementale. Encore faut-il qu'une ville ou un propriétaire foncier soit suffisamment préoccupé par l'épidémie de choléra, qui a fait près de 4000 morts depuis octobre, pour accepter de recevoir ces tonnes d'excréments au nom de la santé publique.