Son exil en France devait être provisoire, il aura duré 25 ans: en regagnant Haïti le 16 janvier, l'ex-dictateur Jean-Claude Duvalier, surnommé «Bébé doc», a refermé une période entourée de mystères durant laquelle il a échappé à la justice et dilapidé sa fortune.

Pendant ce quart de siècle, l'ex-président à vie, âgé de 59 ans, a brouillé les pistes et connu maintes alternances politiques en France, où il a parfois vécu sans titre de séjour, d'après une enquête de l'AFP.

Chassé du pouvoir en Haïti, «Bébé doc» est accueilli en France le 7 février 1986 afin de «faciliter la transition démocratique» et pour «une huitaine de jours», assure le gouvernement socialiste de l'époque.

C'est alors un homme riche. Soupçonné d'avoir siphonné les caisses de son pays, le plus pauvre du continent américain, il aurait détourné entre 1971 et 1986 300 à 800 millions de dollars, selon l'ONG Transparency International.

Séjour dans l'Abbaye de Talloires, un hôtel quatre étoiles au bord du lac d'Annecy, près de la Suisse, voitures et restaurants de luxe... Jusqu'au début des années 1990, «Jean-Claude» et son épouse Michèle Bennett mènent grand train sur la Côte d'Azur, où ils séjournent dans des villas somptueuses dont celle de l'homme d'affaires saoudien Adnan Khashoggi à Mougins, selon plusieurs sources.

Les premières difficultés arrivent sur fond de divorce, prononcé en 1993. «Sa fortune a fondu parce que sa femme avait procuration sur les comptes», affirme Max Bourjolly, un ex-dirigeant communiste haïtien. «Ses amis, ses proches, ses anciens ministres, la famille Bennett, tous l'ont plumé», confirme le journaliste français Nicolas Jallot, qui l'a rencontré à trois reprises.

L'État haïtien lui réclame en outre 120 millions de dollars et il ne doit son salut qu'à la Cour de cassation, la plus haute instance judiciaire de France qui, en 1990, déclare les juridictions françaises incompétentes.

Aux abois, «Bébé doc» revend en 1992 le château de Théméricourt (près de Paris) pour 5,85 millions de francs, aussitôt saisis par le fisc.

En 1993, il se fait expulser d'une villa qu'il louait 800 000 francs (environ 163 500 dollars canadiens) par an sur les hauteurs de la Côte d'Azur, pour cause d'impayés. Il n'a même plus le téléphone: «Tous les jours, il descendait utiliser une cabine à pièces et remontait avec des packs de bière», raconte un témoin.

Selon Me Renaud Hyppolite, avocat haïtien, il vivote ensuite chez son fils, étudiant à Paris, avant d'emménager dans un deux-pièces de la région parisienne avec sa mère, qui décède en 1997 chez un ancien ambassadeur de l'époque Duvalier.

À la fin des années 90, des Haïtiens de France veulent le traduire en justice. Leur plainte pour crimes contre l'humanité est classée sans suites fin 1999, mais «Bébé doc» choisit de se faire oublier. Il est officiellement «porté disparu» par le gouvernement français.

Il loge un temps à l'hôtel Claridge près des Champs-Élysées puis au début des années 2000, dans un deux-pièces «modeste» dans un quartier chic de Paris avec sa compagne Véronique Roy, où il reste jusqu'à son retour surprise en Haïti, raconte Ronald Mettelus, ex-opposant devenu l'un de ses «proches».

A-t-il bénéficié d'un traitement de faveur?

Les autorités françaises s'en sont toujours défendues, mais ses opposants n'en doutent pas. «Il y a eu une extrême bienveillance, à droite comme à gauche», dit Gérald Bloncourt, fondateur du Comité pour juger Duvalier.

Si «Bébé Doc» dispose aujourd'hui d'un titre de séjour de 10 ans et peut «tout à fait» rentrer en France, selon une source diplomatique, il n'en a pas toujours été ainsi.

Après le rejet de sa demande d'asile en 1987, l'ex-dictateur a vécu illégalement sur le territoire français pendant plusieurs années, de l'aveu même des autorités de l'époque. En mai 1999, un militant des droits de l'homme l'a d'ailleurs cité à comparaître pour «séjour irrégulier», procédure annulée pour vice de forme.

«Bébé Doc» a su se sortir d'une autre mésaventure judiciaire. En novembre 1995, il quitte un hôtel de Mougins en laissant une ardoise de plus de 100.000 francs (15.000 euros). Son gérant, Patrick Budail, qui porte plainte et traque en vain son indélicat client dans les rues de Nice, est convaincu que Duvalier était «protégé».

Sollicité par l'AFP, l'avocat parisien de M. Duvalier, Me Sauveur Vaisse, n'a pas donné suite. Jean-Claude Duvalier, visé par des plaintes pour violation des droits de l'homme, est également poursuivi par la justice haïtienne pour corruption, détournement de fonds publics et association de malfaiteurs.