Ils jeûnent depuis des semaines, courent un marathon de 75 jours, s'embrassent interminablement: les étudiants chiliens, mobilisés depuis trois mois pour une éducation gratuite de qualité, déploient des trésors de créativité pour sensibiliser à leur cause.

À l'heure d'une manifestation de masse jeudi à Santiago, la santé d'une poignée de lycéens en grève de la faim préoccupait, y compris les autorités, à l'image du ministre de la Santé, ou du président du Sénat Guido Girardi qui leur a rendu viste mercredi.

«Nous sommes prêts à sacrifier notre santé pour obtenir une meilleure éducation», a lancé à l'AFP Francia Garate, 18 ans, sur un matelas de son lycée occupé à Buin, près de Santiago. Francia jeûne depuis une semaine, mais l'état de trois grévistes depuis un mois, dont une hospitalisée, inquiétait.

Mais les étudiants ont su aussi faire rire, à travers leurs slogans, leurs happenings, pour dénoncer un système éducatif à deux vitesses, dont le pan public est parent pauvre (4% du budget) depuis le désengagement de l'État sous la dictature (1973-90)

«Mon père est charpentier, je ne peux payer mes études !», clamait la banderole d'un manifestant grimé en Christ, portant une croix lourde comme son emprunt étudiant. Clin d'oeil à un Chili ultra-majoritairement catholique, et aussi extrêmement inégalitaire.

«Tu veux étudier? Joue à la loterie!», «Cinq ans à étudier, 15 à rembourser!» ont crié d'autres slogans des manifestations depuis mai, parmi les plus massives (jusqu'à 80 000) depuis le retour de la démocratie il y a 21 ans. «Excusez-nous de déranger, c'est votre avenir qu'on prépare!»

Le gouvernement, défiant, a parfois paru attiser la verve étudiante, comme lorsque le président Sebastian Pinera a lancé que «l'éducation est un bien de consommation» ou qu'«au bout du compte, rien n'est gratuit dans la vie».

En juillet, un millier d'étudiants ont fait sensation, en organisant sur la Place d'armes un rassemblement on ne peut plus pacifique: un marathon de baiser, qui a vu les couples s'embrasser sans fin, sous une banderole «Pour l'éducation, avec passion».

Avant cela, plus de 2000 étudiants en haillons, maquillés en zombies ensanglantés, avaient dansé avec un certain brio face au Palais présidentiel, le Thriller de Michael Jackson, hommage à une éducation publique «mort-vivante».

«Éducation gratuite au Chili: en quelle langue faut-il te le dire?», est un autre succès étudiant sur internet, un clip enregistré en 12 langues pour expliquer leur lutte urbi et orbi.

Depuis le 13 juin, un drapeau un peu défraîchi: «Éducation gratuite tout de suite», court sans interruption les rues du centre de Santiago, dans un circuit autour de la présidence.

Plus de 10 000 anonymes ont déjà assuré ce relais qui ne s'arrête plus: le week-end des amis, parents, promeneurs, en semaine des employés de bureau, des passants, la caissière d'un supermarché, pour courir un, deux tours, parfois plusieurs heures.

«De nulle part, comme par magie, des coureurs sont apparus», raconte à l'AFP Alfonso Castillo, un des initiateurs du marathon. Qui bouclera sans mal fin août l'objectif de 75 jours, 1800 heures, pour symboliser 1,8 milliard de dollars de bourses qui couvriraient les études de 300.000 étudiants défavorisés.

Mais nul sans doute n'a capté autant l'attention que Camila Vallejo, la charismatique dirigeante communiste de 23 ans de la Fédération des étudiants de l'Université du Chili (Fech).

L'étudiante en géographie, à l'éloquence dure mais posée, est devenue le visage emblématique du mouvement, un visage fin aux yeux bleu-vert auquel des milliers d'internautes, étudiants ou pas, ont déclaré leur flamme, prêts à la suivre jusqu'au bout.