Deux ans après le tremblement de terre de janvier 2010, plus d'un demi-million de personnes vivent encore dans des abris précaires sur des places publiques de Port-au-Prince. C'est trois fois moins qu'avant, mais c'est encore énorme. Le nouveau gouvernement haïtien a réussi à vider deux de ces places. Le premier ministre, Garry Conille, souhaite reloger tous leurs occupants d'ici la fin de l'année. Le Canada promet de mettre la main à la pâte. Mission impossible?

Il y a six semaines, Oles Joseph et Marie Fortunée ont emménagé dans un appartement minuscule, qu'ils doivent partager avec une autre famille.

Leurs quartiers se composent d'un vestibule sans fenêtre et d'une chambre à peine plus grande que leur lit. Les toilettes collectives se trouvent à l'extérieur. L'appartement, obscur et étouffant, n'a pas l'eau courante et fait face à un tas de gravats, vestige du tremblement de terre du 12 janvier 2010.

Mais pour ce couple dans la jeune cinquantaine, tout vaut mieux que le camp de la place Boyer, qu'ils ont quitté le 1er décembre.

«Bravo, bravo, bravo», applaudit Joseph quand on lui demande s'il est content de sa nouvelle situation.

Oles et Marie font partie des quelque 8000 personnes qui ont profité du plan d'évacuation des places publiques. Lancé par le gouvernement haïtien avec l'aide d'organisations internationales, ce plan vise à libérer six de ces places toujours occupées par des sans-abri et à reloger leurs occupants dans 16 quartiers de la capitale. D'où son nom: le projet 6-16.

Au début du mois de décembre, les dernières tentes et parois de tôle ont disparu de la surface des places Boyer et Saint-Pierre, dans le quartier Pétionville, laissant émerger balançoires et bancs de parc. Ces deux places sont devenues méconnaissables.

Les occupants des tentes ont eu de l'aide pour se reloger. Ceux qui possédaient une maison avant le séisme ont reçu des matériaux de construction pour en bâtir une nouvelle. Les locataires, eux, ont eu droit à 20 000 gourdes, soit l'équivalent de 500$, pour se reloger pendant un an. Pour contrôler les loyers, l'argent est versé directement au propriétaire. L'Organisation internationale des migrations (OIM) s'assure que les appartements sont sûrs et que les familles déplacées y habitent réellement.

C'est comme ça que Marie et Oles ont atterri dans leur cagibi à Delmas 95, loin de leur quartier de Morne Hercule, où ils retournent chaque jour pour être avec leurs proches. Ils vivent séparés de leurs enfants, qui ont été accueillis par d'autres membres de la famille.

«Cet appartement ne répond pas entièrement à nos besoins, mais c'est beaucoup mieux que le camp», dit Marie Fortuné.

Mieux qu'une tente

Le programme 6-16 ne donne pas accès à des palaces, confirme Leonard Doyle, responsable des communications à l'OIM. «Les gens se retrouvent dans de petites maisons sans fenêtres, sans électricité, souvent dans des quartiers difficiles, mais c'est mieux qu'une tente.»

Le 12 janvier 2010, un million et demi d'Haïtiens se sont retrouvés dans la rue. Port-au-Prince s'est transformé en immense terrain de camping au milieu des décombres.

Deux ans plus tard, les deux tiers des occupants de ces camps ont réussi à se reloger. Mais les plus vulnérables et les plus démunis sont restés. Ce sont des gens qui n'ont nulle part où aller. Selon le dernier recensement, ils sont un peu plus d'un demi-million.

Les camps sont devenus moins denses, on y respire mieux. Mais les rescapés n'ont pas été les seuls à partir. Les organisations humanitaires ont suivi. Par manque d'argent, mais aussi parce que leur présence créait un effet pervers: au lieu de chercher un logis, les gens restaient au camp dans l'espoir d'y recevoir de l'aide.

Les camps de tous les dangers

Ceux qui restent dans les camps n'y sont pas «en pique-nique», souligne Leonard Doyle.

«Les camps sont devenus incroyablement dangereux.»

Dans le quartier de Nérette, un homme nous montre les restes de son abri, brûlé au cours de la nuit. Par miracle, il a pu sortir à temps.

Dans le quartier Cité-Soleil, un incendie criminel a anéanti tout un camp qui abritait 800 familles.

Les histoires de vols et de violence abondent. Peu de temps avant le grand nettoyage de la place Boyer, des hommes ont déchiré la tente de Marie et Oles et se sont enfuis avec leur téléphone.

Carole Saintil vend du pain et du beurre d'arachide au Champ-de-Mars, où elle vit depuis le séisme. Ça fait deux ans qu'elle ne dort pas. «La nuit, il y a des batailles, on entend la police qui court après les bandits. On garde toujours un oeil ouvert.»

Sa fille de 9 ans, Rébecca, a hâte de s'en aller. «Je vois trop de mauvaises choses, ici, il y a des gens qui se font battre ou voler.»

Au camp de la Piste, à côté de l'aéroport, nous sommes accueillis par trois gamins de 8 ou 9 ans qui promettent d'assurer notre protection. L'un d'entre eux a un pistolet jouet dans sa poche.

«Ici, on entend souvent des coups de feu, et parfois on trouve des corps», laisse tomber Mohamed Obeiday, un des Casques bleus de l'ONU qui surveillent ce camp.

Le défi

L'évacuation des deux places de Pétionville a été un succès, se réjouit Leonard Doyle. Quelque 8000 personnes ont pu retrouver des conditions de vie un peu plus normales. Mais il en reste des centaines de milliers à reloger.

«Le fait qu'il n'y ait plus que 500 000 personnes dans les camps n'est pas un succès», reconnaît le nouveau premier ministre haïtien, Garry Conille, rencontré dans sa résidence officielle, à Port-au-Prince.

«Nous allons régler le problème des camps d'ici à la fin de 2012», promet-il.

Mais comment reloger un demi-million de personnes dans une ville qui n'a pas encore fini de ramasser ses gravats et où, exception faite de quelques projets privés, la reconstruction est toujours au point mort?

Garry Conille prévoit s'attaquer au problème «dans sa globalité.» Il veut rénover les quartiers populaires, faire construire 5000 logements sociaux d'ici à la fin de l'année.

Mais faites le calcul: 5000 logements pour 500 000 personnes... Même si ce projet se concrétise, ce ne sera encore qu'une goutte d'eau dans un océan de besoins.

L'Organisation internationale des migrations estime que, avec le temps, les camps atteindront «un point de bascule»: les départs en entraîneront d'autres, les gens comprendront qu'il n'y a plus d'avenir là, explique Leonard Doyle.

Mais la majorité des évacués risquent d'atterrir, comme Oles et Marie, dans une chambre obscure, dans un coin de la ville où ils ne connaissent personne. Et de se demander comment ils paieront leur loyer après l'expiration de leur bail.

Car Oles Joseph est inquiet pour l'avenir. «Qu'est-ce qu'on va faire l'année prochaine?», se demande-t-il. En attendant, il se réjouit de posséder enfin une clé pour verrouiller sa porte.

Opération Champ-de-Mars

En plein coeur de Port-au-Prince, juste devant le palais présidentiel écroulé, 20 000 personnes campent sur la principale place publique de la capitale haïtienne: le Champ-de-Mars.

Lieu traditionnel de promenades et de concerts populaires, le Champ-de-Mars est devenu infréquentable depuis le séisme. Ses différentes zones sont sous la coupe de bandes criminelles. Et les étrangers ont intérêt à ne pas trop s'y aventurer.

Il y a quelques jours, nous étions en train de discuter avec une femme qui vit au Champ-de-Mars depuis deux ans quand elle a senti que nous suscitions un peu trop d'intérêt et nous a fait escorter vers la sortie...

Le Canada compte mettre la main à la pâte et contribuer à redonner cette place symbolique aux habitants de Port-au-Prince. De passage en Haïti cette semaine, la ministre de la Coopération internationale, Bev Oda, a promis 20 millions de dollars pour reloger ses occupants et restaurer l'esplanade. Les familles recevront de l'aide pour trouver un appartement adéquat ou rénover leur propre maison. Le président Michel Martelly a annoncé que la place serait «complètement décongestionnée» en six semaines. Du côté canadien, on parle plutôt d'un horizon de deux ans. Cela donne une idée de la tâche qui attend Port-au-Prince...