Les autorités péruviennes doivent changer de cap et mettre un terme à l’usage « excessif et meurtrier » de la force pour venir à bout des manifestations qui secouent le pays depuis plusieurs mois, souligne Amnistie internationale.

L’organisation de défense des droits de la personne prévient, dans un nouveau rapport, que les abus mis en lumière par ses enquêteurs pourraient avoir à terme des conséquences juridiques pour les représentants de l’État, incluant « au plus haut niveau ».

La mise en garde concerne notamment la présidente Dina Boluarte, qui a cherché à se dédouaner cette semaine en déclarant n’avoir jamais autorisé le recours à la force létale contre les Péruviens qui réclament avec insistance son départ et la tenue de nouvelles élections présidentielle et législatives.

Elle a pris le pouvoir en décembre après que son prédécesseur, Pedro Castillo, eut été démis et placé en détention pour avoir tenté de dissoudre le Congrès dans une manœuvre assimilée à une tentative de coup d’État par ses adversaires.

Des manifestations ont éclaté dans la foulée un peu partout dans le pays, suscitant une réaction musclée des forces de l’ordre qui a fait officiellement une cinquantaine de morts et des centaines de blessés.

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Un protestataire antigouvernement devant une rangée de policiers antiémeutes dans le cadre d’une manifestation organisée dans le centre-ville de Lima

Amnistie internationale, qui a fait enquête sur 46 cas possibles de violations des droits de la personne, a pu documenter 12 cas de décès par balle.

« Toutes les victimes présentaient des lésions par balle à la poitrine, au torse ou à la tête, ce qui pourrait indiquer dans certains cas un usage intentionnel de la force meurtrière », a souligné l’organisation, qui parle de cas possibles « d’exécutions extrajudiciaires ».

Un étudiant de 18 ans, Jhonatan Erik Enciso Arias, a notamment été la cible d’un tir meurtrier alors qu’il observait une manifestation du haut d’une colline. Il ne commettait alors « aucune violence » contre la police, qui avait posté des agents sur le toit d’un immeuble voisin.

Les « communautés autochtones et paysannes », qui jouent un rôle important dans les manifestations, semblent avoir été particulièrement ciblées par la violence, relève Amnistie internationale, qui évoque une forme de racisme institutionnel.

« Climat d’impunité »

La situation actuelle est aggravée, selon l’organisation, par le fait que les autorités judiciaires tardent à faire enquête sur les allégations de violations de droits de la personne pour identifier les personnes responsables.

« Retarder et négliger ce travail crucial contribue à créer un climat d’impunité qui ne fait que favoriser de tels actes », a relevé Marina Navarro, directrice exécutive d’Amnistie internationale Pérou, dans le rapport.

Stéphanie Rousseau, une professeure de science politique rattachée à l’Université catholique du Pérou, à Lima, note que les abus dénoncés par l’organisation sont de nature à miner plus encore la crédibilité de Dina Boluarte auprès de la population.

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La présidente péruvienne, Dina Boluarte

L’ex-vice-présidente refuse de démissionner tout en répétant qu’elle est sensible aux demandes des manifestants relativement à la tenue de nouvelles élections.

« Plus le temps passe, plus il devient clair que son jeu est d’abord un jeu de survie personnelle », relève Mme Rousseau.

Les élus du Congrès qui refusent la tenue d’élections anticipées en 2023 se montrent tout aussi « opportunistes » et cherchent à protéger leurs intérêts personnels ou des intérêts privés plutôt qu’à agir de manière à favoriser le déblocage de la crise.

Héritage « catastrophique »

Nombre de manifestants réclamaient initialement le retour en poste de Pedro Castillo, mais ces appels se font aujourd’hui moins pressants, le retour aux urnes s’imposant comme la question prioritaire, dit Mme Rousseau.

M. Castillo, note la professeure, a laissé un héritage « catastrophique » au pays. Le mandat de l’ex-enseignant et syndicaliste, qui avait peu d’expérience politique avant d’être nommé président, a été miné par de multiples allégations de corruption et une succession mal avisée de nominations qui ont tourné court.

Ses origines modestes ont toutefois contribué à assurer sa popularité auprès d’une part de la population défavorisée qui se reconnaît en lui.

Sa tâche, note la professeure, a été compliquée dès son arrivée au pouvoir par l’opposition du parti de Keiko Fujimori, fille de l’ex-dictateur Alberto Fujimori.

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Des passants observent des affiches à l’effigie de Péruviens tués lors de manifestations, sur la place Túpac Amaru, à Cuzco.

La politicienne a d’abord tenté de faire renverser le résultat de l’élection présidentielle en alléguant que son adversaire avait profité d’un vote frauduleux, alimentant une crise qui a largement contribué à la polarisation actuelle du pays.

Mme Rousseau pense que la tenue de nouvelles élections demeure le seul scénario pouvant ramener rapidement le calme au Pérou.

Rien ne garantit cependant que l’accalmie serait de longue durée puisque l’émergence de candidats susceptibles de faire consensus et de jeter les bases d’un gouvernement durable paraît être « de l’ordre du miracle » dans le contexte actuel.

Les problèmes touchant le système politique péruvien avaient contribué en 2020 à la désignation rapide de trois présidents. Le dernier était un intellectuel respecté, Francisco Sagasti, qui a tenu la barre jusqu’à l’élection de Pedro Castillo en 2021.