(Asuncion) L’économiste Santiago Peña, le candidat du Parti Colorado (conservateur) au pouvoir depuis sept décennies au Paraguay, a remporté dimanche l’élection présidentielle sur son principal rival de centre gauche qui dénonçait la corruption endémique du pays.

M. Peña, 44 ans, un ex-fonctionnaire du FMI, ex-ministre des Finances du président Horacio Cartes (2013-2018) mis en cause par les États-Unis pour corruption, a été déclaré vainqueur par le tribunal électoral, avec plus de 42 % des voix, contre 27,5 % à M. Alegre, selon 98 % des votes décomptés.  

Peu avant l’officialisation du résultat, Santiago Peña avait proclamé sa victoire, promettant aux Paraguayens de « bannir le fatalisme qui nous condamne à notre présent. Nous sommes maîtres de notre destin, de notre avenir ».

Depuis des semaines, les sondages avaient donné M. Peña et son rival Efrain Alegre dans un rare coude-à-coude pour le Paraguay, où le Colorado domine la vie politique quasiment sans interruption depuis 76 ans, hormis une brève parenthèse à gauche sous Fernando Lugo entre 2008 et 2012. Plusieurs analystes évoquaient un scénario « imprévisible ».

Un candidat « anti-système », Paraguayo Cubas, au virulent discours antiparlementaire et anti-fonctionnaire, pointe en 3e position avec plus de 22 %. « Il a pris des voix aux deux camps, mais les plus lésés sont les opposants de la Concertacion » d’Alegre, expliquait l’analyste politique Roberto Codas.

Santiago Peña se présentait pour la première fois à une élection nationale. En 2018, il avait été défait aux primaires du Colorado par l’actuel chef de l’État, Mario Abdo Benitez. Le président sortant ne peut briguer la réélection immédiate, et Santiago Peña lui succédera en août pour cinq ans.

Un ex-président stigmatisé, mais influent

« Pas de démocratie sans pain », a promis dimanche soir M. Peña qui sait que la pauvreté sera un défi de son mandat, dans un Paraguay agro-exportateur à la prospérité enviable en Amérique latine (4,5 % de croissance prévus en 2023), mais aux criantes inégalités (24,7 % de pauvres). Il a promis la création de 500 000 emplois, et un meilleur accès à la santé publique, sinistrée.

Et dans le « Bañado sur », un de ces bidonvilles régulièrement inondés sur les berges de la rivière Paraguay à Asuncion, des habitants affirmaient cette semaine leur désintérêt pour le scrutin, faute de « proposition sérieuse pour les pauvres ».

Pour Efrain Alegre, un avocat de 60 ans, jadis militant contre la dictature d’Alfredo Stroessner (1954-1989), c’est un troisième échec en autant de candidatures. En vain il s’est posé en pourfendeur de ce qu’il appelle la « mafia » clientéliste du Colorado « liée au crime organisé », un système à présent « effondré », selon lui.

PHOTO LUIS ROBAYO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le candidat défait Efrain Alegre

La corruption a pesé sur l’élection, dans un pays classé 137e sur 180 dans le classement de la perception de la corruption de l’ONG Transparency International. Et son ombre n’est pas près de lâcher le jeune président.

M. Peña a dû se défendre du stigmate associé à son proche mentor, son actif soutien, le magnat du tabac Horacio Cartes. Washington l’a qualifié en 2022 de « significativement corrompu » et l’a interdit d’entrée ou de transactions aux États-Unis, pourtant historiquement allié indéfectible d’Asuncion.  

Car dans un Paraguay aux frontières poreuses (enclavé entre Brésil, Argentine et Bolivie), lieu de transit de la cocaïne andine, la corruption gangrène, et tue désormais : un procureur, un maire antidrogue et un journaliste ont été assassinés en 2022.

Dimanche soir, en proclamant sa victoire, M. Peña s’est longuement affiché aux côtés de M. Cartes, toujours président du Colorado, en le remerciant chaleureusement pour cette « grande victoire ».

Jérusalem, Taipei

Dans un pays à 90 % catholique, à forte influence guaranie (langue amérindienne officielle, comme l’espagnol), M. Peña comme son rival se rejoignaient sur les thèmes moraux et sociétaux, opposés tous deux au mariage pour tous et à l’avortement.

« Nous sommes une société conservatrice, c’est profondément enraciné en nous […] et ça nous rend prudents face aux grands changements de société », assume M. Peña, se présentant en garant des traditions et de la famille, face à un monde « déshumanisé ».

À des années-lumière des préoccupations des Paraguayens, le scrutin aura aussi un impact géopolitique marginal.

M. Peña a affirmé qu’il transférera – de nouveau – l’ambassade paraguayenne en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem. Comme l’avait fait le président Cartes en 2018, avant que son successeur ne revienne sur le transfert quelques mois plus tard.

Par contre, à l’inverse de son rival, il a assuré qu’il maintiendra les relations d’Asuncion avec Taipei – le Paraguay est l’un des 13 États au monde qui reconnaît officiellement Taïwan. Même si des milieux d’affaires paraguayens verraient d’un bon œil un rapprochement avec la Chine.