Même les concours de beauté sont politiques. Parlez-en à la nouvelle Miss Univers Sheynnis Palacios, devenue le symbole de la lutte antigouvernementale au Nicaragua.

Nom : Sheynnis Palacios

Âge : 23 ans

Fonction : Miss Univers 2023

Signes distinctifs : Beauté, diadème, drapeaux, insoumission

Pourquoi on en parle

Le 18 novembre, la Nicaraguayenne Sheynnis Palacios est devenue la première Centraméricaine à remporter le concours Miss Univers. Elle est aussi devenue, dans la foulée, le nouveau symbole de la lutte contre le président du Nicaragua, Daniel Ortega, dont le régime musclé est de plus en plus contesté.

Ce qu’il s’est passé

Le couronnement de Sheynnis Palacios a eu un effet cathartique sur la population nicaraguayenne. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Managua et d’autres villes du pays pour célébrer sa victoire, du jamais vu depuis l’interdiction des rassemblements il y a cinq ans. Sur les images, on peut voir des centaines de drapeaux bleu et blanc du Nicaragua flotter au milieu des cris de joie. Un détail qui n’est pas anodin, puisque ces drapeaux sont considérés comme le symbole de la lutte antigouvernementale, par opposition au rouge et noir du parti du Front sandiniste au pouvoir.

PHOTO ALFREDO ZUNIGA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le couple présidentiel du Nicaragua, Rosario Murillo et Daniel Ortega, en 2018

Une tournure politique

Ces images de liesse ont vite pris un sens politique, dans un pays où la répression a provoqué un véritable exode depuis quelques années. « Je suis tellement heureuse de voir la joie des Nicaraguayens et de les voir sortir le bleu et blanc clandestin dans les rues. Grâce à Sheynnis… », a notamment déclaré l’écrivaine Gioconda Belli, exilée en Espagne et déchue de sa nationalité par le gouvernement Ortega en février dernier.

Un passé de manifestante ?

PHOTO MOISES CASTILLO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Sheynnis Palacios, vêtue d’une robe blanche et d’une cape bleue, lors du concours Miss Univers, le 18 novembre

La reine de beauté n’a jamais exprimé ouvertement son opposition au gouvernement. Mais son passé semble la destiner à être instrumentalisée par l’opposition. Elle a étudié la communication sociale à l’Université jésuite centraméricaine (UCA), fermée en août dernier par le gouvernement qui la qualifiait de « centre de terrorisme ». Des témoins disent l’avoir vue participer aux manifestations antigouvernementales qui ont été réprimées dans le sang en 2018, faisant plus de 300 morts. On parle même de photos affichées sur les réseaux sociaux, puis retirées, la montrant avec un drapeau bleu et blanc. Certains exilés ont même vu dans sa robe de Miss (blanche avec une cape bleue ressemblant au manteau de la Vierge de l’Immaculée Conception, patronne du Nicaragua) un symbole des revendications antigouvernementales et de la défense d’une Église catholique « persécutée » par le régime.

Exploitation « grossière et malveillante »

Sans surprise, le régime d’Ortega n’a pas bien réagi aux manifestations pro-Sheynnis. « En ces heures et en ces jours de nouvelles victoires, nous assistons à une exploitation grossière et à une communication terroriste grossière et malveillante qui visent à transformer un beau moment de fierté et de célébration bien mérité en coups d’État destructeurs », a déclaré mercredi la vice-présidente Rosario Murillo, femme de Daniel Ortega. Des médias d’opposition, exilés au Costa Rica voisin, rapportent par ailleurs que la police a empêché deux artistes de terminer une fresque représentant la nouvelle Miss Univers dans une rue de la ville d’Estelí, dans le nord du pays. Une photo de l’œuvre inachevée circule sur les réseaux sociaux.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE X @PXMOLINA

La police a empêché deux artistes de terminer une fresque représentant Sheynnis Palacios, à Estelí.

Symbole malgré elle

Mme Palacios aurait peut-être aimé célébrer son titre autrement. Mais pour les Nicaraguayens en exil, sa victoire est perçue comme une « fenêtre d’opportunité ». « Jusqu’à un certain point, elle a été revendiquée comme un symbole, résume Kai M. Thaler, professeur du département d’études mondiales de l’Université de Californie à Santa Barbara. Pour l’opposition, c’est un moment d’unité et d’espoir. Cela permet d’attirer l’attention sur le Nicaragua, qui était un peu sorti du radar international avec tout ce qui se passe à Gaza, et les élections en Argentine et au Guatemala. »

Répression, crise politique et autre Miss

Le Nicaragua, dirigé sans interruption depuis 2007 par l’ex-guérillero sandiniste Daniel Ortega (également au pouvoir de 1979 à 1990), traverse une grave crise politique depuis avril 2018. Une première contestation contre une réforme de la sécurité sociale s’est transformée en une vague de manifestations réclamant le départ du président, accusé d’avoir instauré une dictature corrompue, ainsi que des élections anticipées. Selon Human Rights Watch, le gouvernement aurait fermé « plus de 2000 » organisations non gouvernementales en 2022 et intensifié sa répression contre les membres du clergé. Des dizaines de milliers de Nicaraguayens ont fui le pays depuis 2018, et 222 prisonniers politiques ont été contraints à l’exil, plus tôt cette année.

Fait à noter : Sheynnis Palacios n’est pas la première reine de beauté nicaraguayenne à devenir un symbole politique. En 2021, l’ancienne Miss Nicaragua Berenice Quezada, colistière du candidat à la présidentielle Óscar Sobalvarro, avait été arrêtée, assignée à résidence et interdite de participer au scrutin…

Avec l’Agence France-Presse, alencontre.org, ONU Migrations, La Mesa Redonda et La Prensa