Des centaines d'Haïtiens s'agglutinent devant la grille en fer de l'ambassade canadienne, brandissant leurs passeports canadiens et haïtiens au-dessus de leur tête. Les soldats canadiens, lourdement armés, contrôlent la foule bruyante à l'entrée.

La foule grossit de jour en jour devant l'ambassade, rue Delma. Les Haïtiens détenteurs d'un passeport canadien, les résidents permanents et de plus en plus de citoyens ordinaires tentent de fuir leur pays en ruine. Plus de 700 personnes sont déjà parties au Canada à bord d'un avion des Forces canadiennes.

La peur, l'impatience et l'impuissance sont visibles sur le visage de plusieurs personnes au sein de cette foule agitée, qui déborde dans la rue. Plusieurs éclopés se pressent contre le périmètre de sécurité, suppliant les militaires, les représentants de l'ambassade et les gens des médias d'écouter leurs doléances.

Joseph Max se présente à La Presse et dit avoir recueilli un proche, un jeune Québécois de 9 ans, après la catastrophe. «Il était ici en vacances, mais sa mère est morte dans le séisme. Son passeport a été perdu, mais il doit retourner chez lui ; il habite Montréal. Qu'est-ce que je peux faire ?» demande l'homme.

Le garçon maigrelet se nomme Kevendi Pascal. Lorsqu'on lui pose une question, sa réponse est à peine audible. Son regard est fuyant. Il est visiblement traumatisé par les événements. Il n'est pas capable de dire dans quel quartier il vit à Montréal, ni le nom de son école. «Ma mère a disparu sous la maison», murmure simplement le garçon.

Joseph Max nous demande de prendre contact avec le grand-père de Kevendi à Montréal, pour lui demander son aide.

Joint à Montréal par téléphone satellite, Joseph Alexandre Pascal Lairoru est bien heureux d'avoir des nouvelles de son petit-fils. «Ça fait chaud au coeur. J'avais eu des nouvelles ce matin (hier). Il est avec des membres de la famille. J'ai pleuré de joie», raconte le Montréalais, qui a perdu sa fille, la mère de Kevendi. «C'était le premier voyage de Kevendi en Haïti. Il allait fêter le Nouvel An avec sa mère», explique M. Pascal Lairoru, qui dit avoir fait des démarches auprès d'Ottawa pour rapatrier le gamin.

Devant l'ambassade canadienne de Port-au-Prince, il y a aussi Amousse Ednis, un chauffeur de taxi de Saint-Léonard, qui tient fermement contre lui sa fillette de 6 ans. «S'il le faut, je suis prêt à rester ici et aider, mais ma fille doit partir, elle est trop jeune !» lance M. Ednis, qui a son passeport canadien dans sa poche.

Un peu plus loin, Emmanuel Zéphirin nous accoste. Il veut savoir comment obtenir un passeport canadien. «J'ai perdu beaucoup de monde, je n'ai plus rien dans ce pays maintenant. J'ai de la famille à Rivière-des-Prairies. Pouvez-vous simplement leur passer le message de m'aider ?»

En fait, peu d'Haïtiens sans attaches au Canada pourront trouver une place à bord d'un avion militaire canadien.

«Je ne suis plus la même»

Mais ceux qui ont pu traverser la grille de fer et attendent leur départ emportent tous une histoire d'horreur dans leurs valises. Lucie Matte est de ceux-là.

Cette femme de 74 ans, de Saint-Casimir-de-Portneuf, revient de loin. En visite chez son frère qui habite depuis 50 ans dans une communauté religieuse de Port-au-Prince, cette infirmière à la retraite a été contrainte de reprendre du service. «J'ai vu des choses extrêmes, entendu des cris. J'ai soigné des blessures sans instruments, sans savon. Je ne suis plus la même personne...» raconte-t-elle.

Elle marchait avec son frère quand le sol s'est mis à trembler. «Un mur s'est effondré devant moi. Des frères de la communauté ont été ensevelis sous des poutres. Pendant cinq jours, on était environ 4000 à vivre sous des tentes sur le terrain des religieux», explique Mme Matte.

L'adrénaline lui a permis de se découvrir une seconde nature et de foncer tête baissée dans l'horreur. «Ce ne sont pas les vacances que j'aurais souhaitées, mais j'ai pu aider. Et on n'oublie pas ça, jamais», résume-t-elle.

Plusieurs personnes sont assises sur des chaises en plastique sous une tente. De l'eau et de la nourriture sont distribuées aux sinistrés, éparpillés un peu partout sur les terrains de l'ambassade, notamment sur un court de tennis.

Un peu plus loin, Marie-Monique Jean Gilles retourne à Toronto. La mort dans l'âme dans son cas. «Je me sens mal, comme une lâcheuse», explique celle qui travaille comme artiste-éducatrice auprès des enfants. «Mes enfants étaient inquiets, ils ont diffusé ma photo partout sur l'internet. Je m'en vais pour les rassurer, mais je serais plus utile ici», croit Mme Jean Gilles.

Le visage triste, elle pense à ceux qui restent de l'autre côté des grilles de fer, coincés avec leurs histoires d'horreur.