Devant l'inflexibilité d'Ottawa en matière d'immigration, le gouvernement du Québec a décidé de sortir de son sac une mesure extraordinaire, jamais utilisée auparavant, pour permettre à plus de gens d'accueillir des membres de leur famille qui ont survécu au séisme en Haïti.

«Il est clair que le ministre (fédéral de l'Immigration, Jason) Kenney ne veut pas modifier sa loi. Pour des raisons humanitaires, le Québec met en place une mesure d'exception qui va permettre d'élargir les catégories de personnes admissibles à la réunification familiale», a dit hier à La Presse la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles du Québec (MICC), Yolande James.

Cette annonce répond à une demande de la communauté haïtienne de Montréal, qui trouve la loi canadienne trop restrictive. «Pour la réunification familiale, selon la loi fédérale, les frères, soeurs, nièces et neveux ne sont pas admissibles. Dans notre scénario, cela pourra être envisagé», a expliqué la ministre James.

Entente avec Ottawa

Québec a fait cette annonce à la suite de longs pourparlers avec Ottawa. «Si le Québec souhaite faire venir d'autres personnes sur son territoire, il dispose d'une marge de manoeuvre suffisante», a exposé M. Kenney hier.

Pour mettre sur pied son programme de parrainage bonifié, le gouvernement du Québec se prévaut d'une clause de l'Accord Canada-Québec en matière d'immigration, en vigueur depuis 1991.

La clause, qui s'applique aux personnes en détresse, a été utilisée dans le passé dans des cas individuels, mais c'est la première fois que le gouvernement du Québec l'applique à un plus grand groupe.

«Cette mesure ne veut pas dire que tout le monde pourra venir au Québec», ajoute Mme James. La province ne compte pas dépasser son quota d'immigration, établi à quelque 50 000 personnes par année. «Et ça veut aussi dire que nous pourrons accepter moins d'immigrants d'autres pays», note la ministre.

Les modalités du nouveau programme sont toujours sur la table à dessin des fonctionnaires du MICC. «Nous sommes conscients qu'il faudra donner plus de détails dans les prochains jours», a affirmé hier Claude Fradette, responsable des communications du Ministère.

Les personnes qui répondent aux exigences du programme de parrainage fédéral devront continuer d'expédier leur demande à Ottawa. Celles qui bénéficieront des mesures d'exception québécoises devront faire une demande au MICC.

Les Québécois qui se prévaudront de l'un ou l'autre programme de réunification familiale seront responsables des dépenses entraînées par l'arrivée de membres de leur famille. D'ailleurs, les parrains potentiels devront montrer que leur situation financière leur permet de voir au bien-être de leurs proches, qui ne seront pas admissibles à l'assistance sociale à leur arrivée.

Les personnes qui n'ont pas la capacité financière nécessaire pourront demander à un tiers de se porter garant, a expliqué la ministre.

Le gouvernement du Québec n'a pas encore décidé s'il exemptera les demandeurs des frais afférents, comme le souhaiteraient plusieurs représentants de la diaspora haïtienne. «On regarde ça avec Ottawa. Une des préoccupations des deux ordres de gouvernement est que nous voulons que les demandes soient sérieuses. Enlever la tarification encourage souvent des personnes à faire des demandes moins sérieuses», croit la ministre libérale.

Accueil enthousiaste

L'annonce de Québec a été accueillie avec enthousiasme hier par la communauté haïtienne et par les organismes spécialisés en matière d'immigration. «A priori, la mesure semble répondre à ce que le milieu communautaire et la communauté haïtienne ont demandé, a dit Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes immigrantes et réfugiées (TCRI). Il faut maintenant voir comment tout ça va fonctionner.»

Marjorie Villefranche, de la Maison d'Haïti, considère l'annonce de Québec comme un «bon début», mais elle craint que les délais qu'impose Ottawa pour l'étude des dossiers soient trop longs. «Ce qui est important, c'est de faire venir les gens bientôt. Les gens sont dans la rue. Ils dorment dans les parcs à 4000, 6000. Il faut agir rapidement», a-t-elle souligné.

Mme Villefranche estime aussi que le quota de 50 000 sera insuffisant. «Il y a entre 100 000 et 130 000 Haïtiens à Montréal. Tout le monde voudra parrainer des gens. C'est une situation exceptionnelle qui demande un quota exceptionnel.»

Au Conseil canadien des réfugiés, on salue aussi l'initiative québécoise, mais on s'inquiète du sort des Haïtiens qui ont de la famille dans d'autres provinces canadiennes. «Le ministre Kenney répète sans cesse qu'il faut agir avec équité. Or, une personne qui vit d'un côté de la rivière des Outaouais pourra parrainer sa soeur ou son frère alors que celui qui vit de l'autre côté ne pourra pas», a dit hier la directrice du CCR, Janet Dench, qui a de nouveau exhorté Ottawa à élargir la portée du programme national de réunification familiale.