Assis sous une bâche entre deux caisses d'équipement, un sauveteur de la garde-frontière de la Grenade, vêtu d'un uniforme poussiéreux, chante Here in Heaven, d'Éric Clapton. Soudain, la mélodie de sa guitare est enterrée par les applaudissements et les cris qui fusent des ruines de l'hôtel Montana.

Un miracle? Un rescapé? La triste routine, plutôt. Ce ne sont que les 30 sauveteurs chiliens et américains, épuisés, qui viennent de finir leur pep talk avant de s'enfoncer pour une des dernières fois dans la montagne de dalles de béton empilées qu'est devenu l'hôtel Montana.

 

Devant les décombres, une grande affiche en papier annonce les noms des «disparus». «Marcil Serge (Canada)» y est écrit au gros crayon feutre noir. Le nom du Canadien Richard Proteau figure sur un autre bout de papier. En tout, une dizaine de Canadiens se trouveraient sous les décombres. L'espoir de retrouver l'ex-ministre québécois ou le moindre survivant est de plus en plus mince.

«Je ne sais pas combien de temps nous allons continuer à chercher ici. Ce sont les Chiliens qui décident», explique Bill Powers, pompier de Kingston, en Ontario, qui fouille les ruines depuis trois jours. «Notre mission était de préparer le terrain pour la démolition de la cage d'ascenseur», ajoute-t-il. L'ascenseur, c'est précisément le dernier endroit où Serge Marcil a été vu vivant avant que tout s'effondre.

Le responsable des opérations au Montana, le major Rodrigo Vasquez, un Chilien énergique, demeure extrêmement prudent lorsqu'un proche d'un disparu lui demande jusqu'à quand dureront les tentatives de sauvetage. «Peut-être jusqu'à la semaine prochaine. Je ne sais pas. Ce n'est pas nous qui décidons, c'est la MINUSTAH», annonce-t-il.

Mais vraisemblablement, les opérations de secours prendront fin beaucoup plus tôt. En matinée hier, des ouvriers s'affairaient déjà à installer des marteaux-piqueurs sur d'immenses pelles mécaniques jaunes. Visiblement, la démolition est imminente, même si personne n'ose prononcer le mot.

La situation enrage Nahad Benabdallah, dont le mari, ingénieur, est au nombre des disparus. Elle tente, de Montréal, d'obtenir la moindre information au sujet des efforts de sauvetage. «J'ai appelé à l'ambassade canadienne et on ne me donne aucun détail. Ce matin, j'ai appelé pour envoyer sa fiche dentaire afin qu'on puisse éventuellement identifier le corps, mais on ne m'a même pas rappelée», dénonce-t-elle à l'autre bout du fil.

Chercher «à l'odeur»

À quelques mètres de l'hôtel, des secouristes mexicains acceptent de nous faire visiter les ruines d'une luxueuse maison de cinq étages qui, par la force de la destruction, ne mesure plus qu'un étage et demi. Pour arriver sur le toit, il faut enjamber les climatiseurs cabossés, s'agripper fermement à une rampe métallique complètement tordue et branlante. En haut, rien n'est au niveau. «Regarde ces fissures, elles se sont produites ce matin même», explique Ruben Valdez, un pompier du Paraguay, en montrant du doigt une immense lézarde qui court tout le long de la terrasse quasi intacte où se sont installés tous les sauveteurs.

Sous un dôme installé sur ce qui reste du toit de la maison, une équipe de sauveteurs mexicains appelée Los Topos, dirigée par Hector Mendez, creuse tant bien que mal un trou dans le béton. Ils ont réussi à percer quatre de cinq dalles, à la recherche d'un père et de sa fille restés coincés en dessous. «On a encore des chances de les trouver, estime le chef de Los Topos. S'ils étaient morts, on sentirait leur odeur. Et là, ça ne sent rien, alors on continue.»