La reconstruction a bel et bien commencé à Port-au-Prince. Sur la route de Piste, tout près de l'aéroport, les coups de marteau résonnent sans cesse. Mais les maisons ne sont pas faites de brique. Bienvenue dans un tout nouveau bidonville de la capitale haïtienne.

À l'une des extrémités de ce qui était un terrain vague il y a tout juste deux semaines, Junior Déplat nous montre ce que sera sa maison dans quelques jours. Pour l'instant, il n'y a que la charpente, faite de poutres enfoncées dans des trous de 30 cm de profondeur. «Elles m'ont coûté 500 gourdes (15$CAN), mais je n'ai pas de clous et je n'ai qu'une seule feuille de tôle. Il m'en faudra au moins six pour construire ma maison», dit-il en créole. À 200 gourdes la feuille, il devra se contenter de draps pendant quelques jours, comme en sont faits les abris qu'on trouve ailleurs dans la capitale.

 

À quelques mètres de là, Lizaire Thever a eu plus de chance. Après trois jours de labeur, sa maison de tôle est pratiquement terminée. Il ne lui reste qu'à installer son lit. «J'ai trouvé les matériaux dans les décombres de ma maison, à Village Solidarité», explique-t-il. Pour se rendre à son ancienne maison, il a dû traverser plusieurs fois une rivière remplie de déchets dans laquelle les habitants du nouveau bidonville vont déféquer. L'odeur est pestilentielle.

Des maisons de tôle comme celle de Lizaire, nous en avons compté une bonne trentaine dans le bidonville tout neuf. Contrairement aux abris des autres camps, les Haïtiens y installent tout leur ménage. Certaines cabanes font jusqu'à 5 m sur 5 et sont meublées de chaises et de tables. On trouve même des décorations à l'intérieur.

Le compte précis reste cependant difficile à faire. Les maisonnettes sont toutes collées les unes aux autres. Seules d'étroites allées crasseuses, dans lesquelles des enfants d'à peine 2 ans jouent complètement nus, les séparent.

«Nous sommes 204 familles, ici», dit Lizaire. Combien de temps resterez-vous? «Les autorités et la grâce de Dieu le diront.» Pour les autorités, il faudra visiblement attendre. Aucune ONG n'est sur place. Seul signe d'aide internationale: devant le bidonville, un immense conteneur d'eau en PVC, portant l'inscription «Croix-Rouge haïtienne», a été installé. Quand on cogne dessus, le bruit sourd confirme qu'il est plein. Mais un cadenas a été installé sur le robinet.

Rien ne se perd, tout se recycle

En marchant encore quelques mètres, on tombe sur une décharge improvisée où des camions à benne viennent verser les décombres des maisons effondrées de Port-au-Prince. Au milieu des tas de briques, une bonne quarantaine d'hommes et de femmes se dépêchent d'arracher les tiges de fer et les bouts de tôle tordus à demi ensevelis sous les gravats. Chaque fois qu'un nouveau camion arrive, c'est chacun pour soi. On s'arrache le moindre bout d'aluminium ou de cuivre. Au milieu du brouhaha, Richard Pierre, âgé de 18 ans, a réussi à mettre la main sur des bouts de fil électrique. Il fera fondre la gaine de caoutchouc sur le feu. «Je peux en tirer 25 gourdes la livre», dit-il.

Tout près de là, cinq hommes accroupis s'affairent à redresser à coups de maillet les bouts de tôle qu'ils ont trouvés. Ils en font des «réchauds», une sorte de gril au charbon dont se servent les femmes pour la cuisine. «Ça se vend 300 gourdes. Il y a beaucoup de demande pour ça», précise Jolicoeur Merci Dieu, un des cinq artisans.

Jean Ronald Joseph, responsable du centre d'hébergement de l'Église adventiste Laodicée, située en face du bidonville, croit que les gens qui s'y sont installés y resteront longtemps. «Que voulez-vous qu'ils fassent d'autre? C'est impossible de vivre dans Village Solidarité, il y a encore plein de cadavres coincés dans les maisons. Si je peux me permettre un pléonasme: il faut bien que les vivants vivent.»