Un cri de douleur déchire l'air dans la cour où les Médecins sans frontières tiennent leur clinique mobile à Carrefour-Feuilles, un des quartiers les plus sinistrés de Port-au-Prince.

La femme qui hurle court dans tous les sens en s'arrachant les cheveux. Que lui arrive-t-il? «Elle a peur que son bébé meure», nous explique-t-on.

Le bébé, complètement inerte, a 1 an et s'appelle Christophe Jean-Louis. Il a été blessé dans le tremblement de terre et des pansements recouvrent tout son petit torse.

Mais ce n'est pas à cause de ses blessures que les deux médecins de la clinique s'activent autour de lui, l'air soucieux. Le petit Christophe a une forte fièvre, les yeux révulsés, la nuque raide. «Ses poumons sont affreux», dit l'un des médecins. L'autre cherche une veine dans le corps du bébé pour le brancher à un soluté d'antibiotiques. Diagnostic probable: méningite.

Comme 7000 autres habitants de Carrefour-Feuilles, depuis le séisme, Christophe vit à Tapis-Rouge, un camp pour sans-abri aménagé sur le flanc d'une colline qui donne une vue saisissante sur l'océan.

Mais nous sommes loin d'une image de carte postale. Le sentier escarpé qui mène jusqu'en haut de Tapis-Rouge est jonché de détritus. Ici, les gens dorment sur des couvertures sales posées directement sur le sol. Des nuées de mouches volent autour des marmites rouillées qui contiennent des restants de haricots ou de riz. Il n'y a aucune installation sanitaire: ni toilettes, ni douches, ni eau potable.

C'est probablement ici, dans cet environnement insalubre, que Christophe a contracté sa maladie. Il n'est pas le premier. Et pas le dernier non plus.

«J'ai très, très, très, très peur des épidémies», dit Remère Junior, un pasteur qui attend son tour à la clinique médicale. Il vient consulter pour son propre enfant, Omil, qui est fiévreux et souffre de diarrhée.

Médecins sans frontières a installé trois cliniques mobiles dans autant de camps de sans-abri de la capitale. On y fait des pansements et on nettoie des plaies, conséquences directes du séisme.

Mais de plus en plus, les médecins diagnostiquent des maladies liées aux conditions de vie des rescapés. Maladies qui auraient été évitées si les gens avaient accès à un matelas propre, à une douche et à de l'eau potable.

«Depuis quelque jours, nous avons de plus en plus de gastroentérites, de diarrhées, de gale, de problèmes respiratoires et même des cas de malnutrition», dit l'infirmière Sara Ferrer.

Hier, elle a soigné un homme dont le pied avait été écrasé par un bloc de béton et qui a dû être transféré à l'hôpital, tant sa chair était nécrosée. Un adolescent frêle âgé de 13 ans était plié en deux et tremblait de douleur. Quelqu'un -un médecin américain, selon son père -lui a bandé le bras d'une manière qui lui causait une douleur insupportable. Sara Ferrer a refait son pansement, puis elle l'a fait emmener à l'hôpital. Diagnostic probable: fracture, inflammation.

Une autre patiente, Jésulène Victor, avait eu le gros orteil écrasé lors du séisme. Hier, sous son bandage, il y avait un amas de chair dans laquelle grouillaient de petits vers blancs.

Ces vers proviennent des mouches qui déposent des larves dans les plaies, a expliqué l'infirmière. Si on ne fait rien, ces vers se fraient un chemin en grugeant la chair. Comme le petit Christophe, Jésulène n'était pas malade des suites directes du tremblement de terre. Elle était malade de la saleté dans laquelle elle vit depuis.

Et rien n'indique que ces conditions soient sur le point de s'améliorer. Plus de 600 000 personnes vivent dans un environnement propice aux infections et à la contagion. Les médecins appréhendent une explosion d'épidémies. «J'ai peur du choléra, de la diphtérie, de la méningite», dit Sara Ferrer.

Besoins infinis

Les besoins en soins médicaux, en Haïti, seront infinis pendant des mois, et peut-être des années. Il y a tous ceux qui doivent réapprendre à marcher après une amputation. Il y a les gens qui ont tout perdu et auront besoin de soins psychiatriques. Et aussi ces maladies secondaires écloses dans les camps.

«Les soins postopératoires, les soins psychiatriques, la rééducation, tout ça va prendre beaucoup de temps», prévoit Christophe Fournier, président du conseil de Médecins sans frontières, qui vient de passer quelques jours à Port-au-Prince.

Et ce que Christophe Fournier craint par-dessus tout, c'est que le monde oublie Haïti dans quelques semaines ou quelques mois. «Souvent, dans de telles crises, après avoir déversé toute sa bonne volonté, tout le monde rentre chez soi. Mais ici, les hôpitaux sont à terre, tout le système de santé est à terre. Qui restera pour le reconstruire?»