Le Trois-Rivières mouille à quelques mètres du wharf Jérémie, tout près d'une rangée de conteneurs renversés. Sur le pont, une vieille affiche jaunie de la Société des traversiers du Québec indique que le bateau a été construit en 1962. «Capacité: 600 passagers.»

Depuis le séisme, son capitaine, un Haïtien bourru qui refuse de nous parler, y entasse régulièrement plus de 3000 passagers pour les transporter jusqu'à Jérémie, sur la côte nord-ouest d'Haïti. Un voyage de 10 heures, en plein soleil. Sur le pont principal, une soixantaine de vieux gilets de sauvetage sont étalés. C'est premier arrivé, premier servi. «Nous avons transporté plus de 11 000 sinistrés depuis l'événement», explique Guillaume Imondial, représentant du capitaine sur le Trois-Rivières.

 

Le traversier blanc et bleu poudre, construit au chantier de Marine industries, à Sorel, et qui a servi au Québec jusqu'à il y a trois ans, n'avait à son bord qu'une trentaine de personnes lors de notre passage, hier. Mais le wharf Jérémie débordait d'Haïtiens qui attendaient depuis cinq jours le départ du navire. «Ma maison s'est écrasée et je n'ai plus nulle part où vivre. Je ne peux que retourner où je suis née. J'ai de la famille là-bas», explique Louis-Reine Nicolas, qui attend patiemment par terre, sur un vieux tapis sale, avec son mari et son bébé, qu'elle allaite encore.

«Le bateau ne partira que lorsqu'il sera plein», explique Guillaume Imondial.

À l'autre bout du voyage, la ville de Jérémie, totalement épargnée par le séisme, a accueilli entre 25 000 et 50 000 sinistrés de Port-au-Prince depuis deux semaines. «Nous ne les considérons pas comme des réfugiés parce que ce sont pour la plupart des gens nés ici, qui reviennent pour recommencer leur vie auprès de leur famille, explique Bette Gebrian, directrice de la santé publique à la Haitian Health Foundation de Jérémie. Évidemment, personne ne se plaint, mais ça met une pression incroyable dans un équilibre déjà fragile. L'arrivée de ces sinistrés risque d'empirer des problèmes de malnutrition déjà existants.»

Très dépendante du transport maritime, la région de Jérémie produit surtout du riz, des haricots et du charbon de bois. Les rares bateaux qui arrivent à faire la traversée de Port-au-Prince ne sont pas suffisants pour assurer le transport des marchandises nécessaire aux besoins de la population.

Et les problèmes de transport maritime risquent de durer encore longtemps à Haïti. Le port de Port-au-Prince est encore largement paralysé par les dégâts qu'il a subis lors du séisme. Partout, dans le port, on voit des conteneurs renversés, à moitié submergés. L'armée américaine, responsable de la remise en état des deux quais principaux, estime qu'il lui faudra encore de 8 à 10 semaines pour y parvenir. Les militaires ont notamment installé des quais flottants, qui rendent possible le débarquement de 200 conteneurs par jour. Les capacités devraient atteindre 800 conteneurs par jour d'ici à la mi-février, a affirmé un responsable de l'armée américaine à l'AFP.

Mais d'ici là, les Haïtiens devront se contenter de décharger une bonne partie des cargaisons dans des barques de bois, comme celles qu'on doit prendre pour monter à bord et débarquer du Trois-Rivières.