Le Parlement haïtien a mis fin à ses travaux, hier, dans l'incertitude et la contestation. Dans la cacophonie, et sans l'opposition, le Sénat a adopté le critiqué projet de loi qui permet au président René Préval de prolonger son mandat, alors que dans la rue, des milliers d'Haïtiens manifestaient leur mécontentement.

«Préval sait très bien qu'il n'a pas le droit de violer la Constitution. Il voulait finir son mandat, mais il ne peut pas faire n'importe quoi», a lancé Joël Émile, furieux.

 

Conseiller spécial pour une organisation progressiste, il est venu dénoncer un président qu'il juge «à la solde des Blancs».

«Avec Préval, le chômage a augmenté, et plus de chômage veut dire plus de criminalité, plus de délinquance et plus de criminalité», a-t-il conclu.

Au son de la musique, les enfants ont brandi des affiches à l'effigie de l'ancien président haïtien, exilé depuis le coup d'État de 2004, sur lesquelles on peut lire: «Aristide, nous t'attendons».

«Nous voulons que Jean-Bertrand Aristide soit réadmis au pays, comme simple citoyen, pour qu'il participe à la reconstruction de son pays», explique Jean-Claude Pierre, croisé à quelques jets de pierre du Palais national en ruine, en face de la place du Champ-de-Mars, transformée depuis bientôt quatre mois en un immense camp de déplacés.

Il s'agissait de la plus grande importante manifestation depuis le séisme du 12 janvier, qui a ravagé le pays, tué près de 250 000 morts et laissé plus d'un million de personnes déplacées.

La police nationale haïtienne était aux aguets, et même l'armée américaine surveillait le déroulement des choses du haut des airs, en hélicoptère.

On rapporte quelques coups de feu tirés, tandis que les forces de l'ordre ont quant à elles lancé des gaz lacrymogènes afin de contrôler la foule.

Les opposants au président Préval lui reprochent de ne pas en faire assez depuis la catastrophe, et d'utiliser maintenant la crise pour se maintenir au pouvoir.

Pendant ce temps, au Sénat...

De l'autre côté de la ville, c'est en veston-cravate que les critiques se faisaient entendre. La dernière séance du Sénat haïtien a presque tourné à la foire d'empoigne, l'opposition ayant essayé de bloquer, ou du moins retarder, l'adoption du projet de loi prolongeant le mandat du président, en vain. Ces députés ont claqué la porte en signe de protestation.

Après avoir prolongé pour 18 mois l'état d'urgence décrété après le séisme, qui augmente les pouvoirs du président, les parlementaires ont accepté une prolongation du mandat du chef d'État, s'il était impossible de tenir des élections, comme prévu, en novembre prochain. La Constitution haïtienne prévoit que René Préval doit quitter ses fonctions en février prochain; avec cette modification, il a l'option de rester jusqu'en mai.

Les députés ne seront pas convoqués de nouveau avant la tenue du scrutin : l'opposition y voit une dérive autoritaire, dans un pays trop habitué aux dictatures.

«Pour la quatrième fois, le président Préval n'a pas su ou n'a pas voulu faire des élections à temps. Alors, nous laissons un vide derrière nous, soutient le député indépendant de Pétion Ville, Steven Benoît, farouche opposant au chef d'État. Il n'y a pas de Parlement, alors il n'y a pas de contrôle. À partir de maintenant, il fait ce qu'il veut. C'est dangereux, ça peut déboucher sur un début de dictature.»

«Maintenant il utilise la catastrophe pour rester au pouvoir le plus longtemps possible, ajoute M. Benoît. C'est l'histoire de tous les présidents haïtiens. Mais l'histoire retiendra aussi que chaque fois qu'un président essaie de rester au-delà de son mandat, il y a toujours eu un coup d'État. Il a toujours été obligé de partir, ce qui va arriver à Préval aussi.»

Selon lui, si les parlementaires ne peuvent plus contrôler les décisions du président, la population, elle, «veillera au grain».

«C'est pourquoi aujourd'hui, on a eu un début de manifestations. Ça va durer et le groupe va grossir au fur et à mesure. Il y aura de la violence et on ne sait quoi», conclut-il.