Junior Saintyl est un héros comme dans les films. Et il le sait. Le jeune Haïtien de 28 ans est le «logisticien» de Médecins du monde Canada. Son boulot, en principe, consiste à gérer le stock de médicaments. Mais depuis le tremblement de terre, il est devenu homme à tout faire, multipliant les initiatives jusqu'à s'imposer comme un maillon essentiel de l'équipe d'aide.

«J'ai mes deux bras, mes deux jambes et, en plus, je suis costaud. Je vais tout donner», dit-il en vous regardant droit dans les yeux.

 

Il raconte son histoire comme s'il dictait sa biographie. Il rentrait chez lui en tap-tap quand le tremblement de terre s'est déclenché. Il a aussitôt volé au secours de deux jeunes filles aux jambes fracturées, avec qui il est resté toute la nuit. Puis il a marché trois heures et demie pour atteindre le centre hospitalier Sainte-Catherine-de-Labouré (Choscal), dans le bidonville de Cité Soleil, où sont installés les Médecins du monde.

Il est arrivé à 9h du matin. «Je savais que les gens avaient besoin d'aide», dit-il.

Entre le 12 et le 27 janvier, il affirme n'avoir pas dormi une seule seconde. Si ses collègues ne sont pas prêts à jurer qu'aucun roupillon n'a été piqué durant ces deux semaines, ils confirment que Junior y a abattu - et continue à abattre - un boulot colossal. Transporter des blessés à la force des bras, dénicher de l'essence, réparer des appareils, soigner quand il le faut: Junior répond sans cesse présent.

«Il ne faut pas perdre ce gars-là. Il faut qu'il reste ici», lance Johanne Ferron, infirmière québécoise venue prêter main-forte à Port-au-Prince.

Junior n'a pas quitté l'hôpital depuis le tremblement de terre. Les rares fois où il admet dormir, il s'installe avec les malades. «Ma maison est foutue. Pourquoi je prendrais un tap-tap pour aller la regarder?»

Il répond de la même façon à ses collègues qui l'incitent à se reposer.

«Pourquoi j'irais m'asseoir dans un coin quand des Haïtiens souffrent?»

Junior nous raconte aussi avec passion le jour où un médecin lui a donné l'occasion de passer de la parole aux actes.

«Junior! Le respirateur! Junior!»

Il a bondi. Dans l'autre salle, un garçon de 13 ans hospitalisé pour des diarrhées venait d'entrer en convulsions. Junior a mis en marche le respirateur et a installé le masque sur le visage du petit. Quand les médecins ont décrété que le patient devait être transporté vers un hôpital mieux équipé, Junior a lui-même hissé le garçon sur la civière et l'a mis dans le camion. Trop tard, cependant. Cinq minutes plus tard, l'adolescent était mort.

Il a préparé l'hôpital pour le triste retour. Le véhicule est revenu, chargé du petit corps et d'infirmières québécoises aux yeux pleins d'eau. C'est Junior qui a descendu la civière pour que la morgue la récupère. C'est aussi Junior qui a repéré la mère éplorée, qui hochait la tête frénétiquement sans dire un mot en regardant son fils mort. Il l'a laissée lui dire adieu, puis l'a entourée de ses bras.

La dernière fois qu'on a vu Junior Saintyl, il sautait au volant d'un véhicule pour ramener chez elle la maman anéantie.

Un héros, on vous dit.