Séphora Jennifer François, 14 ans, et son frère Jonathan Thierry, 12 ans, ont souligné hier un bien triste anniversaire: un an, jour pour jour, sans voir leur maman.

Sur le balcon du deuxième palier de la modeste maison d'une amie de leur mère, dans le quartier Carrefour, ils ont reçu La Presse, la fin de semaine dernière.

 

Ils vivent là depuis un an, cachés, limitant leurs mouvements au strict minimum, question de ne pas attirer l'attention des «bandits» qui terrorisent la famille depuis une tentative d'enlèvement raté, l'an dernier.

Bien souvent, le seul déplacement consiste à descendre de la maison vers la tente installée dans la rue. Presque personne dans ce coin ne dort dans sa maison, de peur d'une réplique meurtrière.

Les fameux «bandits» sont peut-être des membres de leur propre famille, personne ne sait trop. «Tout est toujours très compliqué en Haïti, vous savez», lance la femme qui les héberge et les surveille en attendant qu'ils puissent rejoindre leur mère à Montréal.

Celle-ci, Eline Occessite, est entrée au Canada il y a des mois comme réfugiée. Sa mère et elle ont été victimes d'une tentative d'enlèvement à Port-au-Prince.

Mme Occessite a pris peur et a quitté Haïti, mais elle n'a pas amené ses enfants avec elle pour des raisons de visa aux États-Unis, où elle a d'abord transité. Elle enseignait à Port-au-Prince et affirme qu'un groupe de criminels veut enlever ses enfants pour obtenir une rançon.

Ce type d'enlèvement est assez fréquent en Haïti et il ne vise pas toujours des familles riches.

Après le tremblement de terre, Eline Occessite pensait que ce serait plus facile de faire venir ses enfants à Montréal, d'autant plus que sa demande date d'avant le tremblement de terre, comme celles de 1500 autres Haïtiens coincés eux aussi dans les arrérages d'Immigration Canada.

Ottawa et Québec se sont entendus en février pour accélérer le processus de réunification des familles. Québec a même annoncé un élargissement de la définition stricte de famille et a ouvert ses portes à 3000 Haïtiens de plus.

Sur le terrain, à Port-au-Prince, tout cela est bien théorique. Les dossiers de Séphora et Jonathan sont bloqués dans la machine bureaucratique.

Il faudra des mois, au moins sept à huit, pour régler le dossier, selon Marjorie Villefranche, de la Maison d'Haïti à Montréal.

Elle s'est rendue elle-même à Port-au-Prince pour essayer d'obtenir un visa temporaire pour les enfants. En vain.

« Aucune humanité»

«Les fonctionnaires ont répondu, par lettre, qu'ils n'avaient pas été convaincus que les enfants retourneraient en Haïti» à l'expiration du visa temporaire. «Évidemment qu'ils ne veulent pas retourner en Haïti!» s'offusque Mme Villefranche, qui accuse Immigration Canada de fournir des réponses purement bureaucratiques à un drame humain épouvantable.

«Il n'y a aucune humanité dans ce processus», déplore-t-elle.

Elle ne parle pas que du cas de Séphora et de Jonathan, mais des milliers de personnes coincées en Haïti qui attendent de rejoindre leur famille au Canada.

«Le fédéral avait promis d'accélérer le processus, mais seulement 150 dossiers sur 3000 ont été réglés pour les demandes datant d'avant le 12 janvier, dit-elle. C'est le fédéral qui retarde. Nous sommes inquiets pour les 3000 autres demandes qui arriveront dans le cadre du programme spécial.»

Selon Mme Villefranche, il y a deux classes d'enfants haïtiens aux yeux du gouvernement canadien: les enfants adoptés, à qui on a accordé priorité dans les jours suivant le séisme, et les autres, qui attendent encore.

Près de deux mois après l'annonce du programme spécial de réunification des familles, aucun réfugié haïtien n'est arrivé au Québec, précise-t-on à Immigration Québec. Et aucun n'arrivera, vraisemblablement, avant plusieurs mois.

«C'est le fédéral qui traîne, dit-on à Québec. Malgré la promesse d'accélérer le processus, on ne sent pas que c'est une priorité.»