Dans le camp improvisé de la place Saint-Pierre, à Pétionville, une femme âgée lave un chaudron dans une eau brune et nauséabonde. Les mouches bourdonnent autour des fruits et des légumes, et les pluies torrentielles des dernières soirées ont laissé quelques coulées de boue.

Quatre mois après le tremblement de terre qui a dévasté Haïti, le 12 janvier dernier, les conditions de vie dans les quelque 850 camps de déplacés de la capitale, Port-au-Prince, rendent l'environnement propice à la propagation de maladies.

Les déchets qu'on trouve partout, l'eau stagnante, les latrines de fortune et le fait que la nappe phréatique est très haute dans certains quartiers rendent la situation particulièrement risquée.

«Toutes les conditions sont réunies pour qu'il y ait des épidémies», explique le Dr Marc Forget, médecin québécois qui a atterri le 20 février au centre hospitalier Sainte-Catherine-Labouré (CHOSCAL), à Cité-Soleil, le plus grand bidonville d'Haïti, où Médecins sans frontières a ouvert une clinique au lendemain du séisme.

«Mais la situation n'est pas aussi désastreuse que ce à quoi on aurait pu s'attendre, s'étonne le Dr Forget. À Cité-Soleil, les gens vivent dans des conditions épouvantables, mais on n'a pas vu de grandes épidémies jusqu'à maintenant, même quatre mois après le séisme.»

À l'aube de la saison des pluies, les médecins voient de plus en plus de patients atteints de malaria et de diarrhée, mais c'est le cas chaque année.

Boire de l'eau traitée

«Il est clair que les gens vivent dans des conditions plus précaires qu'avant le tremblement de terre. La promiscuité est plus grande, donc le risque d'augmentation des maladies liées aux conditions sanitaires - gastroentérite, infection respiratoire, diarrhée - est beaucoup plus élevé», explique Stefano Zannini, chef de mission pour la division belge de Médecins sans frontières.

L'organisme a noté, dans la première moitié du mois d'avril, une recrudescence notable des cas de fièvre typhoïde, infection habituellement liée à l'eau contaminée. Les cas ont été traités et la situation est revenue à la normale.

Au début du mois de mai, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a confirmé la mort d'un adolescent de 15 ans atteint de diphtérie. Alors qu'on parlait d'un cas isolé, les autorités de la santé haïtiennes ont fait état, cette semaine, d'un deuxième cas: un enfant de 7 ans est mort de la même maladie. L'OMS a appelé à la prudence, mais sans pour autant juger la situation critique.

Le Dr Forget s'explique difficilement le fait qu'il n'y ait pas encore eu d'épidémie. «Peut-être parce que les gens ne boivent pas l'eau souillée. Ici, il y a toujours une solution de rechange pour trouver de l'eau. Les gens peuvent en acheter, il y a des points de distribution. Ils se lavent dans des endroits complètement insalubres, mais ils boivent toujours de l'eau traitée.»

La situation pourrait toutefois basculer rapidement.

«Tant que les populations ne sont pas logées de façon correcte, tant qu'elles sont dans des camps où il n'y a pas le minimum d'hygiène, d'eau potable, on peut toujours craindre les épidémies», soutient Jean Soro, coordonnateur médical au CHOSCAL, transformé en hôpital général après la première phase de soins d'urgence.

Essentielles évacuations

La saison des pluies, qui devrait s'intensifier en juin et juillet, ne fera que fragiliser la situation et augmenter les risques d'épidémie.

«Il y aura des inondations. Il y a beaucoup de canaux bouchés, notamment dans Cité-Soleil. Il y a des déchets, des latrines à ciel ouvert, prévient Stefano Zannini, de MSF. Le risque direct est l'augmentation des cas de fièvre, de malaria, la contamination de l'eau, donc la fièvre typhoïde, un air plus humide, donc des infections respiratoires. Ce sont les enfants qui sont le plus exposés.»

En prévision de la recrudescence des pluies, les zones les plus à risque de deux camps ont été évacuées. On a relogé entre 7000 et 9000 personnes dans des camps plus salubres, en bordure de la ville. Mais là encore, le temps presse.

«Il a fallu quatre mois pour arriver à reloger 9000 personnes. Combien de temps faudra-t-il pour en replacer 1 million?» s'interroge le chef de mission de Médecins sans frontières.

Mais dans un pays où les soins médicaux sont difficilement accessibles pour la majorité de la population, ce sont surtout les perspectives à long terme qui font sourciller les médecins étrangers sur le terrain.

«Le problème, c'est que, aujourd'hui, plusieurs ONG répondent de manière ponctuelle à plusieurs problèmes, explique M. Zannini. Au fur et à mesure que ces acteurs vont se retirer, est-ce que tous ces services - vidange de latrines, offre d'eau potable, douches... - seront assurés par quelqu'un?»