Chaos, insécurité croissante et sentiment généralisé d'abandon: trois jours après le puissant tremblement de terre qui a détruit des quartiers entiers de Port-au-Prince, les premiers secours internationaux peinaient toujours, hier, à rejoindre les dizaines de milliers de blessés et de sans-abri qui peuplent les rues de la capitale haïtienne.

Les secouristes qui arrivent peu à peu à Port-au-Prince longent des rues jonchées de cadavres dont on ne sait trop que faire. Une odeur de putréfaction règne dans cette ville dont certaines places ou parcs ont été transformés en morgues à ciel ouvert.

Et puis, il n'y a pas que la capitale. Des messages en provenance d'autres villes indiquent que le séisme a frappé durement à l'extérieur de Port-au-Prince. À Jacmel, par exemple, une ville de 40 000 habitants, des milliers de personnes en sont réduites à dormir sur une piste d'atterrissage qui sert aussi d'hôpital de fortune. Le séisme y a détruit deux écoles secondaires, tuant une centaine d'élèves. Selon un courriel envoyé au journal Libération, les habitants de Jacmel sont privés de tout: nourriture, eau, couvertures, médicaments.

À mesure que la journée avançait, hier, les organisations humanitaires ont fait circuler de nouvelles estimations qui donnent une idée de l'ampleur de la catastrophe. Entre 10 et 30% des constructions ont été détruites à Port-au-Prince. Et dans certains quartiers, c'est une maison sur deux.

Résultat: quelque 300 000 personnes, dans cette ville de 2 millions d'habitants, n'ont plus d'endroit où dormir.

«Nous avons déjà trouvé près de 50 000 corps. Nous estimons qu'il y aura entre 100 000 et 200 000 morts en tout, même si nous ne connaîtrons jamais le chiffre exact», a déclaré le ministre haïtien de l'Intérieur, Paul Antoine Bien-Aimé, dans une entrevue accordée hier à l'agence Reuters.

Selon les dernières estimations, plus de 3 millions de personnes ont subi les secousses les plus violentes du tremblement de terre.

La lenteur du déploiement de l'aide internationale s'explique par la faible capacité de l'aéroport de Port-au-Prince. Hier, les parachutistes de la 82e division aéroportée américaine ont entrepris de sécuriser le tarmac en y installant des postes de contrôle tandis que des avions en provenance d'une dizaine de pays déchargeaient du matériel. Une grande partie de cet équipement est restée à l'aéroport en raison de l'état des routes, encombrées de gravats.

Personne à la barre

Ces délais ont beau être compréhensibles, de plus en plus d'Haïtiens se demandent où est passé leur gouvernement.

Un journaliste de la BBC a constaté hier que les autorités haïtiennes étaient complètement absentes des rues de la capitale. «Il n'y a personne aux commandes, le président dort à l'aéroport avec des journalistes et des travailleurs humanitaires», écrit-il sur le site de la télévision publique britannique.

«Le président Préval s'est promené une heure ou deux dans les rues, complètement hagard et complètement dépassé par les événements», relate de son côté une journaliste de RTBF, la radio publique belge.

Selon cette journaliste, René Préval ne sort plus de l'aéroport. «La population estime qu'il est dépassé et incompétent, il n'a pas déclaré l'état d'urgence. Pour la population, c'est purement scandaleux. C'est une vision apocalyptique, on ne voit même pas de protection civile à l'oeuvre.»

Insécurité

Ce qui complique également le travail des sauveteurs, c'est l'insécurité qui règne dans les rues de la capitale, constate l'Agence France-Presse. «Hier, on a voulu voler nos camions. Aujourd'hui, à cause de ça, il y a des endroits où nous avons à peine pu travailler», déplore Delfin Antonio Rodriguez, chef des opérations de la défense civile dominicaine, qui a déployé une équipe de secours à Port-au-Prince.

«Il y a des pillages et des gens armés, parce que c'est un pays très pauvre et qu'ils sont désespérés», souligne M. Rodriguez.

La violence endémique qui a empoisonné Haïti au fil des ans s'était estompée dans les derniers mois. Maintenant, on craint que la faiblesse du gouvernement, la faim et les pénuries de denrées essentielles ne la fassent exploser à nouveau. Déjà, des hommes armés de machettes ont été aperçus dans la capitale. En revanche, le Programme alimentaire mondial a démenti l'information selon laquelle son entrepôt à Port-au-Prince aurait été pillé.

Il faut dire aussi que l'effondrement de la prison de la capitale a permis à quelque 4000 détenus de prendre la clé des champs. Et que l'absence des services gouvernementaux s'explique, elle aussi, par les ravages du séisme.

Car la puissante secousse de mardi a carrément décapité le gouvernement haïtien. Aux dernières nouvelles, une vingtaine de sénateurs et au moins trois ministres, dont celui de la Justice, sont morts sous les décombres.

Au cours du week-end, l'aide continuera à affluer à Port-au-Prince. On s'attend à ce que 10 000 soldats américains y débarquent d'ici à lundi, par exemple. Mais pour les gens ensevelis sous les décombres depuis plus de trois jours, ils risquent d'arriver trop tard.