Un an après le coup d’État du 1er février 2021, la junte birmane peine à contrôler le pays. Face à la répression, les Birmans ont trouvé de nouvelles manières de protester contre des dirigeants qu’ils jugent illégitimes. Ils font comme s’ils n’existaient pas…

L’explosion a retenti jusqu’aux collines qui surplombent le petit village de Moso, dans l’État de Kayah, dans l’est de la Birmanie.

Il était environ 10 h, le 24 décembre dernier, quand des militaires birmans ont encerclé une quinzaine de véhicules – quelques motos, des camionnettes et deux tracteurs – sur une route rurale de cet État frontalier de la Thaïlande.

Selon les témoignages recueillis auprès de rares témoins de l’évènement, notamment par le site d’information indépendant Myanmar Now, des gardes frontaliers qui ont tenté d’intervenir auprès des militaires pour faire libérer les personnes arrêtées ont été abattus derrière un bosquet de bambous.

Puis les soldats ont mis le feu aux véhicules. Et à leurs occupants. Les organisations locales ont dénombré 38 victimes, dont au moins 4 enfants. Deux employés de l’organisation britannique Save the Children ont péri dans ce carnage. Certains corps n’étaient plus identifiables : ils étaient réduits en cendres.

L’armée a prétendu avoir ciblé des terroristes qui avaient refusé de s’arrêter à son barrage. Une version jugée peu crédible, ne serait-ce que parce que certaines des victimes avaient les poignets attachés avant d’être incendiées. « C’était un massacre de civils », tranche Phil Robertson, directeur adjoint pour la division Asie de Human Rights Watch, joint en Thaïlande.

  • Scène de désolation après « le massacre de Noël » dans l’État de Kayah, dans l’est de la Birmanie

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    Scène de désolation après « le massacre de Noël » dans l’État de Kayah, dans l’est de la Birmanie

  • Scène de désolation après « le massacre de Noël » dans l’État de Kayah, dans l’est de la Birmanie

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    Scène de désolation après « le massacre de Noël » dans l’État de Kayah, dans l’est de la Birmanie

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Reconnue depuis comme « le massacre de Noël », cette attaque contre des villageois birmans frappe par le nombre de victimes. Mais ce n’est pas le seul exemple de la violence de la répression déployée par la junte birmane, un an après le putsch qui lui a permis de prendre le pouvoir au lendemain d’élections largement favorables à la Ligue nationale pour la démocratie, le parti de l’opposante Aung San Suu Kyi.

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L’opposante Aung San Suu Kyi, en 2019

Depuis, la « dame de Rangoun » a été accusée à répétition. Elle vient d’être condamnée à quatre ans de prison à l’issue d’un procès pour possession de walkies-talkies et violation des règles sanitaires. D’autres procès l’attendent, si bien que la politicienne de 76 ans risque bien de passer le restant de ses jours en prison.

Elle n’est pas la seule. Depuis le coup d’État, plus de 11 000 personnes ont été incarcérées et quelque 1500 ont été tuées par la junte au pouvoir. Et des attaques contre des civils, comme celle qui a eu lieu la veille de Noël à Moso, se multiplient dans le pays.

Changement de stratégie

Devant la répression, les opposants ont changé de stratégie. Au lieu des manifestations massives, réprimées avec brutalité, ils boycottent tout ce qui, de près ou de loin, a des liens avec l’État birman. Des médecins ont déserté massivement le réseau de la santé pour offrir leurs services dans des cliniques privées. Des enseignants refusent de travailler dans les écoles publiques. Des écoles clandestines se mettent en place.

La Plaza Myanmar, chic centre commercial au centre de Rangoun, la plus grande ville du pays, est déserte depuis deux mois. L’endroit est massivement boycotté, parce que ses propriétaires entretiennent des liens avec l’armée.

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Marché en plein air à Rangoun, jeudi dernier

Et un « gouvernement d’unité nationale », formé d’anciens députés en fuite, de militants de la société civile et de représentants de minorités ethniques, nombreuses en Birmanie, agit dans l’ombre. Essayant tant bien que mal de répondre aux besoins de la population.

Calvin, que nous identifierons seulement par ce prénom pour ne pas exposer ses proches restés en Birmanie, étudie à Vancouver depuis quatre ans. Âgé de 20 ans, le jeune homme est en lien étroit avec des amis restés au pays. La plupart travaillent dans cette administration parallèle.

Certains ont mis sur pied des universités pour les gens qui ne veulent pas étudier sous le joug des militaires.

Calvin, étudiant birman résidant à Vancouver

« Les gens comprennent que c’est important de ne pas se faire endoctriner, ajoute-t-il en entrevue téléphonique, alors ils s’inscrivent dans des universités sur l’internet. »

Autre acte de résistance : des Birmans refusent de payer leur facture d’électricité pour ne pas enrichir l’armée qui a des intérêts dans le secteur énergétique. Il y a aussi eu des cas de policiers et de militaires qui désertent, des banques qui ont dû fermer à cause de la pénurie de personnel, mais aussi par crainte de retraits massifs d’argent liquide.

« Les gens disent aux militaires : “Nous ne voulons rien savoir du système que vous nous offrez et nous n’allons pas y participer” », résume Jean-François Rancourt, spécialiste de la Birmanie affilié au Centre d’études asiatiques de l’Université de Montréal.

La junte menace

À la veille de la commémoration du premier anniversaire du coup d’État, la junte brandit une série de projets de loi visant à mettre des bâtons dans les roues du mouvement de désobéissance civile.

Le gouvernement d’unité nationale a appelé ses partisans à klaxonner ou à taper des casseroles pour manifester leur opposition à la junte. Celle-ci a répondu en associant de tels gestes à des actes de haute trahison, qui peuvent entraîner la peine de mort.

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Taper sur une casserole ou un récipient en métal comme ici à Rangoun l'an dernier : un acte de haute trahison désormais passible de la peine de mort.

Le gouvernement veut aussi mettre hors la loi les liens VPN qui permettent aux Birmans de naviguer sur les réseaux sociaux bloqués par les autorités, avec un projet de loi qui les menace de cinq ans de prison.

Le problème, c’est que la junte ne peut pas vraiment se permettre de fermer tout accès à l’internet – car elle en a elle-même besoin, souligne Phil Robertson de Human Rights Watch « Ils essaient d’étouffer l’internet en haussant les taxes sur les données mobiles ou en augmentant le prix des cartes SIM, mais la junte a besoin de l’internet, ne serait-ce que pour ses transactions financières. »

Le gouvernement parallèle est financé notamment par la diaspora birmane qui fait tirer des œuvres d’art ou organise des loteries pour recueillir des fonds. Aux yeux de Calvin, cet État fantôme est en train d’implanter une nouvelle culture politique en Birmanie, moins conservatrice et plus inclusive que les gouvernements traditionnels.

« Les minorités ethniques, les femmes, les gens de couleur, même les personnes LGBTQ ont un rôle dans ce mouvement, les gens apprennent à être plus tolérants, c’est une véritable révolution sociale », se réjouit Calvin.

À preuve : le ministre « fantôme » des Droits de la personne mis en place par l'opposition, Aung Myo Min, affiche publiquement son homosexualité. « C’est un précédent en Birmanie », souligne l’étudiant qui est actif au sein de la diaspora birmane.

Le choix des armes

Mais il n’y a pas que la résistance pacifique. Les opposants des militaires prennent aussi les armes. Et pas seulement dans les États ethniques où des mouvements de guérilla existent depuis des décennies. Il n’est pas rare que des bombes explosent à Rangoun.

Le gouvernement parallèle a aussi mis sur pied une « Armée de défense du peuple ». Signe de la nouvelle collaboration entre les différents groupes qui composent le pays, la guérilla ethnique entraîne certains de ces nouveaux soldats. Calvin a des réserves face à l’émergence de la lutte armée. « Je suis contre la violence », souligne-t-il. « Mais en même temps, je comprends l’impatience des gens, et la résistance pacifique entraîne aussi la violence, celle de la répression. »

  • Entraînement, le 11 janvier dernier, de soldats de l'Armée Taaung de libération nationale, groupe de l'ethnie shan du nord-est de la Birmanie

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    Entraînement, le 11 janvier dernier, de soldats de l'Armée Taaung de libération nationale, groupe de l'ethnie shan du nord-est de la Birmanie

  • Rebelles de l'ethnie karenni dans un camp d'entraînement dissimulé dans la jungle de l'est de pays, dans l'État du Kayah

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    Rebelles de l'ethnie karenni dans un camp d'entraînement dissimulé dans la jungle de l'est de pays, dans l'État du Kayah

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Face à cette double résistance, pacifique et armée, la junte perd des plumes. « Ils perdent du terrain au profit des groupes armés », note Jean-François Rancourt.

Il souligne qu’il existe des dissensions au sein de l’armée. Et que le régime se fissure peu à peu. « Les militaires pensaient qu’ils n’avaient qu’à prendre le pouvoir et que les gens les accepteraient. Ç’a été leur pire erreur », observe Phil Robertson. Selon lui, le général Min Aung Hlaing, qui dirige la junte, « est peut-être le pire dirigeant de toute l’histoire de la Birmanie ».

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Le général Min Aung Hlaing, chef de la junte

Journaliste qui couvre depuis longtemps la Birmanie, Bertil Lintner va plus loin. « La junte n’a pas réussi à consolider son pouvoir », écrit-il dans un site d’information consacré à l’Asie du Sud-Est, Irrawaddy.

« Le coup militaire de l’an dernier risque de rester dans la mémoire comme la prise de pouvoir la plus infructueuse de l’histoire moderne de l’Asie. »

À lire :
« Frapper là où ça fait mal » : que peut faire la communauté internationale pour forcer la main de la junte militaire en Birmanie ?

Lisez le texte d'Agnès Gruda